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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/524

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au sénat, même pour les délibérations d’une légère importance. Un jour Priscus Helvidius, désigné préteur, avait opiné contre l’avis qu’il favorisait. Vitellius, d’abord vivement ému, n’avait fait cependant qu’appeler les tribuns du peuple au secours de son pouvoir méprisé. Bientôt, aux paroles de ses amis, qui, craignant de sa part un plus profond ressentiment, essayaient de l’adoucir, il répondit : "que ce n’était pas chose nouvelle que le dissentiment de deux sénateurs dans la république ; que lui-même avait aussi bien des fois contredit Thraséas." Ce rapprochement effronté fut la risée du plus grand nombre : d’autres se complaisaient dans la pensée que ce n’était pas quelque riche en crédit, mais Thraséas, qu’à avait choisi pour modèle de la véritable gloire.

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Il avait donné pour chefs aux prétoriens Publius Sabinus, ancien préfet d’une cohorte, et Julius Priscus, alors centurion, protégés, celui-ci par Valens et l’autre par Cécina. Entouré de dissensions, Vitellius était sans autorité : Cécina et Valens gouvernaient sous son nom, ennemis invétérés dont les haines, mal contenues dans la guerre et les camps, envenimées depuis par des amis pervers et le séjour d’une ville où abondent les germes de discorde, s’aigrissaient encore par les comparaisons qu’amenait entre eux la prétention d’avoir des courtisans, un cortège, des troupes immenses d’adulateurs. La faveur de Vitellius penchait tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Le pouvoir d’ailleurs n’est jamais assuré quand il est sans limites. Vitellius lui-même, passant avec mobilité d’un accès d’humeur à des caresses déplacées, était l’objet de leurs mépris et de leurs craintes. Ils ne s’en hâtaient pas moins d’envahir des palais, des jardins, toutes les richesses de l’empire, tandis que la déplorable indigence d’une foule de nobles que Galba avait, ainsi que leurs enfants, rendus à la patrie, n’obtenait de la pitié du prince aucun soulagement. Un acte agréable aux grands, approuvé même du peuple, fut d’accorder aux citoyens revenus de l’exil les droits des patrons26. Mais l’artificieuse bassesse des affranchis les éludait de toutes manières, en plaçant leurs trésors dans d’obscurs dépôts ou sous de hautes protections. Quelques-uns même étaient passés au service du prince et devenus plus puissants que leurs maîtres.

26. D’après la loi des douze Tables, les patrons succédaient, comme agnats, à ceux de leurs affranchis qui n’avaient pas d’héritiers siens et qui mouraient sans testament. Si l’affranchi faisait un testament, il ne pouvait disposer que de la moitié de ses biens, l’autre étant de plein droit dévolue au patron. De plus, l’affranchi était tenu envers le patron à des services et à des présents réglés par l’usage ; et, si celui-ci tombait dans l’indigence, il lui devait la nourriture comme un fils à son père.

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