Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/525

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Les soldats, dont le camp trop rempli ne pouvait contenir l’immense multitude, jetés au hasard sous les portiques ou dans les temples, erraient par toute la ville sans connaître le lieu de ralliement, sans monter de gardes, sans se fortifier par le travail. Au milieu des délices de Rome, plongés dans des excès qu’on rougirait de nommer, ils énervaient leurs corps par l’oisiveté, leurs âmes par la débauche. Ils en vinrent jusqu’à négliger le soin de leur vie. Une partie campa dans les lieux les plus insalubres du Vatican, ce qui produisit une grande mortalité. Le voisinage du Tibre augmenta encore dans les Germains et les Gaulois la disposition aux maladies et les eaux du fleuve offertes à leur avidité achevèrent d’abattre ces corps épuisés par la chaleur. Enfin la corruption et la brigue confondirent tous les degrés du service. On formait seize cohortes prétoriennes et quatre de la ville, chacune de mille hommes. Valens s’arrogeait dans cette opération la principale autorité, prétendant avoir sauvé Cécina lui-même. Il est vrai que l’arrivée de Valens avait fait la force du parti ; les bruits qui accusaient la lenteur de sa marche avaient été réfutés par la victoire, et tous les soldats de la Basse-Germanie lui étaient dévoués. On croit que la foi de Cécina commença de cette époque à flotter incertaine.

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Au reste, Vitellius ne donnait pas aux chefs une telle licence que les soldats n’en eussent encore une plus grande. Chacun choisit lui-même ses drapeaux. Le plus indigne était, s’il le voulait, enrôlé pour le service de Rome, et il fut permis aux meilleurs soldats de rester légionnaires ou dans la cavalerie attachée aux légions. Il s’en trouva qui préférèrent ce parti, fatigués qu’ils étaient par les maladies, et maudissant l’intempérie du climat. Les légions et les escadrons n’en perdirent pas moins leur principale force ; et une atteinte profonde fut portée à l’honneur du prétoire, par ce mélange confus de vingt mille hommes ramassés plutôt que choisis dans toute l’armée. Pendant que Vitellius haranguait les troupes, on demanda le supplice d Asiaticus, de Flavius et de Rufinus, chefs gaulois qui avaient combattu pour Vindex. Vitellius ne réprimait pas ces clameurs : outre que la nature l’avait fait trop lâche, il sentait approcher le moment inévitable des gratifications ; et manquant d’argent, il accordait aux soldats tout