Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/526

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le reste. Les affranchis du palais furent soumis à un tribut réglé sur le nombre de leurs esclaves. Quant à lui, n’ayant de soin que pour dissiper, il bâtissait des écuries aux conducteurs de chars, couvrait l’arène d’animaux et de gladiateurs, se jouait de l’argent comme s’il en eût regorgé.

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L’anniversaire de sa naissance excita le zèle de Cécina et de Valens. Ils le célébrèrent à grands frais et avec un appareil inouï jusqu’alors, en donnant des spectacles de gladiateurs dans tous les quartiers de la ville. Ce fut une joie pour les âmes dégradées, un scandale pour les gens de bien, de voir Vitellius dresser des autels dans le Champ-de-Mars et honorer les mânes de Néron. Des victimes furent immolées au nom du peuple romain, et le feu du sacrifice allumé par les prêtres d’Auguste. C’est un sacerdoce imité de celui que Romulus fonda pour Tatius son collègue, et consacré par Tibère à la maison des Jules. Quatre mois ne s’étaient pas écoulés depuis la victoire, et l’affranchi du vainqueur, Asiaticus, égalait déjà les Polyclète, les Patrobius (1), et toutes ces odieuses célébrités des temps plus anciens. Personne dans cette cour ne se fit un titre de la vertu ni du talent. Le seul chemin du pouvoir était d’assouvir par des festins extravagants et de ruineuses orgies l’insatiable gourmandise de Vitellius. Lui, content de jouir de l’heure présente, n’étendait pas plus loin sa prévoyance ; et l’on porte à neuf cents millions de sesterces les sommes qu’il engloutit en si peu de mois. Humiliante condition d’une grande et malheureuse cité, contrainte d’endurer en moins d’un an Othon et Vitellius, et tour à tour abandonnée aux Vinius, aux Valens, aux Icélus, aux Asiaticus, jusqu’à ce qu’elle passât dans les mains d’un Marcellus et d’un Mucien, en qui elle trouva d’autres hommes plutôt que d’autres mœurs. 1. Deux affranchis de Néron, punis du dernier supplice par Galba, avec plusieurs autres scélérats fameux sous le dernier règne.

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La première défection qu’apprit Vitellius fut celle de la troisième légion. Elle lui fut annoncée par Aponius Saturninus, avant que ce lieutenant embrassât lui-même le parti de Vespasien ; mais Aponius, dans le premier étourdissement de la surprise, n’avait pas tout écrit, et la flatterie adoucissait encore la nouvelle : "ce n’était après tout qu’une légion mutinée ; les autres armées étaient fidèles au devoir." Tel fut même le langage que Vitellius tint devant les troupes, en y mêlant des invectives contre les prétoriens dernièrement licenciés,