Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/539

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et il en avait prévu le succès. Après avoir exhorté les siens à soutenir vaillamment le combat, il divise ses escadrons en deux ailes et laisse un vide au milieu, afin d’y recevoir Varus et les siens. Il envoie l’ordre aux légions de s’armer, et donne le signal aux troupes répandues dans la campagne de laisser là le butin et de faire face partout où elles trouveraient l’ennemi. Cependant Varus effrayé se mêle au gros de l’armée et y jette l’épouvante. Battus et non battus fuient pêle-mêle, précipités par la peur et se renversant mutuellement dans des chemins trop étroits.

10. Rappelons, une fois pour toutes, que les Romains divisaient le jour en douze heures, dont la première commençait au lever du soleil et à douzième finissait à son coucher. La cinquième était donc une heure avant midi.

17

Antonius n’omit dans ce désordre aucun des devoirs d’un habile capitaine et d’un intrépide soldat. Il court à ceux qui chancellent, retient ceux qui lâchent pied ; partout où le danger redouble, partout où s’offre quelque espoir, il ordonne, combat, encourage, toujours en vue à l’ennemi, en spectacle aux siens. Il alla, dans l’excès de son ardeur, jusqu’à percer de sa lance un porte-enseigne qui fuyait ; puis il saisit le drapeau et le porta en avant, courage qui fut imité de cent cavaliers au plus, retenus auprès de lui par la honte. La nature du lieu fit le reste : la route devenait plus étroite ; un ruisseau dont le pont était rompu, la profondeur inconnue et les bords escarpés, coupait le chemin et arrêtait la fuite. Cet obstacle, ou peut-être la fortune, rétablit les affaires désespérées. Les fuyards retrouvent la force en se réunissant, et, les rangs serrés, ils reçoivent les Villelliens qui accouraient en désordre. Ceux-ci se débandent à leur tour. Antonius poursuit ceux que la peur entraîne, terrasse ceux qui résistent. Les soldats, chacun suivant son caractère, dépouillent les morts, font des prisonniers, enlèvent armes et chevaux. Ralliés par les cris de joie, ceux même qui tout à l’heure fuyaient épars à travers la campagne viennent aussi se mêler à la victoire.

18

A quatre milles de Crémone brillèrent tout à coup les enseignes de deux légions, l’Italique et la Ravissante, qui, en apprenant le premier succès de leur cavalerie, s’étaient avancées jusqu’à ce lieu. Mais quand la fortune fut changée, on ne les vit ni ouvrir leurs rangs pour recevoir les fuyards, ni marcher en avant et attaquer elles-mêmes un ennemi qu’un si long espace parcouru en combattant devait avoir épuisé. Vaincues pour s’être fiées au hasard, elles avaient moins senti dans la prospérité le besoin d’un général, qu’elles n’en sentirent la privation dans ce moment critique. Elles pliaient déjà quand la cavalerie victorieuse fondit sur elles. En même temps le tribun