Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/544

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Dans l’ardeur de la poursuite, les vainqueurs se répandent sur la lisière de la route. Le carnage fut signalé par une aventure tragique : un fils tua son père. Je rapporterai le fait et les noms sur la foi de Vipstanus Messala. Julius Mansuétus, habitant de l’Espagne, enrôlé dans la Ravissante, avait laissé chez lui un fils encore enfant. Celui-ci, parvenu à l’âge militaire, entra dans la septième légion que formait Galba. Le hasard offrit son père à ses coups, et il le renversa demi-mort. Pendant qu’il le dépouille, il le reconnaît et en est reconnu. Alors il l’embrasse expirant, et d’une voix lamentable il prie les mânes paternels de lui faire grâce et de ne pas l’abhorrer comme un parricide : "C’était le crime de tout le monde ; et qu’est-ce que la part d’un soldat dans la guerre civile ? " Puis il emporte le cadavre, creuse une fosse et rend à son père les derniers devoirs. Les plus voisins s’en aperçurent d’abord, d’autres ensuite ; et, de proche en proche, ce fut dans toute l’armée un cri général d’étonnement, de pitié, de malédiction contre une guerre si cruelle ; et toutefois ils n’en dépouillent pas avec moins d’ardeur leurs parents, leurs alliés, leurs frères massacrés : ils se racontent le crime et ils le commettent.

Prise de Crémone

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Un immense et nouveau travail les attendait devant Crémone. Dans la guerre contre Othon, les soldats de Germanie avaient placé leur camp autour de la ville et environné ce camp de retranchements, ouvrages de défense qu’ils avaient encore augmentés depuis. A cet aspect, les vainqueurs s’arrêtèrent, les chefs ne sachant qu’ordonner. Commencer l’attaque après les fatigues du jour et de la nuit était difficile et d’un succès douteux, faute d’avoir aucun secours à portée. Retourner à Bédriac, outre l’intolérable labeur d’une route aussi longue, c’était renoncer à tous les fruits de la victoire. Se retrancher dans un camp avait pareillement ses dangers, à une si petite distance de l’ennemi ; car il pourrait, en les voyant épars et occupés au travail, les troubler par de brusques sorties. Par-dessus toutes ces alarmes, on redoutait les soldats eux-mêmes, plus prêts à soutenir le péril que l’attente : ennemis des précautions, ils espéraient tout de la témérité ; mort, blessures, sang, il n’était rien que ne balançât pour eux l’amour du butin.

27

Antonius se rendit à ces vœux et fit investir les retranchements. D’abord on combattit de loin avec des lèches et des pierres, au grand désavantage des Flaviens, qui recevaient