Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/556

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mérite éprouvé. Celui-ci surprit les barbares au moment où, dans l’ardeur du pillage, ils erraient en désordre, et les rejeta sur leurs vaisseaux ; puis, ayant à la hâte construit des galères, il atteignit le chef à l’embouchure du fleuve Cohibus, où il s’était réfugié sous la protection de Sédochus, roi des Lazes22, dont il avait acheté l’alliance avec des présents et de l’or. Le roi essaya d’abord en faveur du suppliant les menaces et les armes. Quand on lui eut montré le prix d’une trahison, ou, à défaut, la guerre, infidèle comme un barbare, il vendit la tête d’Anicétus et livra les réfugiés : ainsi finit cette guerre d’esclaves. Vespasien se réjouissait de cette victoire, lorsque, tout réussissant au delà de ses vœux la nouvelle du combat de Crémone vint le trouver en Égypte. Il en hâta d’autant plus sa marche vers Alexandrie, afin d’ajouter à la défaite de l’armée vitellienne le danger de Rome, en affamant cette ville toujours dépendante de secours étrangers. Car il se préparait à envahir aussi par terre et par mer l’Afrique, située dans les mêmes parages, pour envoyer à l’ennemi, en lui fermant tous ses greniers, la faim et la discorde.

22. Au nord du Phase.

Antonius devient incontrôlable

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Pendant que la fortune de l’empire se déplaçait en remuant l’univers, la conduite d’Antonius était devenue, après Crémone, bien moins irréprochable ; soit qu’il crût avoir assez fait pour la guerre, et que le reste s’achèverait de soi-même ; soit que, dans une âme comme la sienne, la prospérité eût mis à nu l’avarice, l’orgueil et tous les vices qui se cachaient d’abord. Il foulait aux pieds l’Italie comme une terre de conquête ; il ménageait les légions comme sa propriété. Nulle parole, nulle action qui n’eût pour but d’établir sa puissance. Pour infecter les soldats de l’esprit de licence, il livrait aux légions le remplacement des centurions tués. Leurs suffrages donnèrent les grades aux plus turbulents. Le soldat n’était plus soumis au jugement des chefs ; les chefs étaient faits tumultueusement par le caprice des soldats. Et ces choix séditieux, fléau de la discipline il les tournait encore au profit de sa cupidité, sans craindre l’arrivée prochaine de Mucien, ce qui était plus dangereux que s’il eût méprisé Vespasien lui-même.

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Comme l’hiver approchait et que le Pô inondait les campagnes, l’armée se mit en marche sans bagages. Les enseignes et les aigles des légions victorieuses, les soldats vieux ou blessés,