Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/56

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sure[1], tout concourt à les émouvoir. Mais rien n’y contribua comme le dépit de se voir préférer les Trévires. Ils se jettent au-devant d’Agrippine, la supplient de revenir, de rester ; et, tandis qu’une partie essaye d’arrêter ses pas, le plus grand nombre retourne vers Germanicus. Lui, encore ému de douleur et de colère, s’adressant à la foule qui l’environne :

XLII. « Ne croyez pas, dit-il, que mon épouse et mon fils me soient plus chers que mon père et la République. Mais mon père a pour sauvegarde sa propre majesté ; l’empire a ses autres armées. Ma femme et mes enfants, que j’immolerais volontiers à votre gloire, je les dérobe maintenant à votre fureur, afin que, si le crime ensanglante ces lieux, je sois la seule victime, et que le meurtre de l’arrière-petit-fils d’Auguste et de la belle-fille de Tibère n’en comble pas la mesure. En effet, qu’y a-t-il eu pendant ces derniers jours que n’ait violé votre audace ? Quel nom donnerai-je à cette foule qui m’entoure ? Vous appellerai-je soldats ? Vous avez assiégé comme un ennemi le fils de votre empereur ; citoyens ? Vous foulez aux pieds l’autorité du sénat : les lois même de la guerre, le caractère sacré d’ambassadeur, le droit des gens, vous avez tout méconnu. Jules César apaisa d’un mot une sédition de son armée, en appelant Quirites des hommes qui trahissaient leurs serments[2]. Auguste, d’un seul de ses regards, fit trembler les légions d’Actium. Si nous n’égalons pas encore ces héros, nous sommes leurs rejetons ; et l’on verrait avec surprise et indignation le soldat d’Espagne ou de Syrie nous manquer de respect. Et c’est la première légion, tenant les enseignes de Tibère ; c’est vous, soldats de la vingtième, compagnons de ses victoires, riches de ses bienfaits, qui payez votre général d’une telle reconnaissance ! Voilà donc ce que j’annoncerai à mon père, qui de toutes les autres provinces ne reçoit que des nouvelles heureuses ! Je lui dirai que ses jeunes soldats, que ses vétérans, ne se rassasient ni de congés ni d’argent ; qu’ici seulement les centurions sont tués, les tribuns chassés, les députés prisonniers, qu’ici le sang inonde les camps, rougit les fleuves, qu’ici enfin ma vie est à la merci d’une multitude furieuse.

  1. La chaussure des soldats s’appelait caliga.
  2. Ces soldats mutinés, qui ne respectaient plus la discipline, respectaient encore leur nom de soldats. L’appellation de Quirites leur parut la même injure que si l’on apostrophait un de nos bataillons du nom de bourgeois.