Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/580

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il était massacré. Enfin la cruauté, qui dans la première chaleur de la haine s’assouvissait avec du sang, fit place à la soif de l’or. Plus d’asile respecté ; plus de lieu qu’on ne fasse ouvrir, sous prétexte qu’il recèle des Vitelliens. C’est alors qu’on se mit à forcer les maisons : la mort était le prix de la résistance. Un maître opulent ne manquait pas d’être désigné aux pillards par des esclaves pervers ou par des misérables de la lie du peuple ; d’autres étaient montrés par leurs amis. C’étaient partout des lamentations, des cris de désespoir, et toute la destinée d’une ville prise. On en vint à regretter les violences, naguère si odieuses, des soldats de Vitellins et d’Othon. Les chefs du parti, si puissants pour allumer la guerre civile, étaient incapables de modérer la victoire : c’est que la force qui agite et remue les États est toujours plus grande chez les plus méchants, tandis que la paix et le bon ordre exigent des vertus.

1. Les vainqueurs cherchaient surtout les soldats vitelliens ; or une grande partie de ceux-ci étaient Germaine, et les Germains étaient généralement d’une haute taille.

2

Domitien portait le nom de César et habitait le palais, sans que les soins de son rang l’occupassent encore. C’est par le viol et l’adultère qu’il s’annonçait comme fils d’un empereur. La préfecture du prétoire était aux mains d’Arrius Varus ; l’autorité souveraine en celles d’Antoine. Esclaves, argent, il enlevait tout de la maison du prince, comme si c’eût été le butin de Crémone. Plus modestes ou plus obscurs, les autres chefs, éclipsés à la guerre, étaient omis dans le partage des récompenses. La ville, tremblante et résignée à la servitude, demandait qu’on prévînt L. Vitellius, qui revenait de Terracine2 avec ses cohortes, et qu’on étouffât les restes de la guerre. La cavalerie partit en avant pour Aricia3 ; les légions restèrent en deçà de Boville. Vitellius se remit sans balancer, lui et ses troupes, à la discrétion du vainqueur. Les soldats jetèrent, autant par colère que par crainte, des armes malheureuses. On vit cette longue suite de prisonniers, entre deux haies de gens armés, s’avancer au milieu de Rome. Pas un n’avait le front abaissé : leurs traits sombres, farouches, étaient impassibles aux applaudissements et aux moqueries