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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/588

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Civilis lia tous les convives par les imprécations en usage parmi ces barbares. Il envoya vers les Canninéfates pour les associer à l’entreprise. Cette nation habite une partie de l’île : origine, langue, valeur, elle a tout des Bataves, excepté le nombre. Il gagna ensuite par des émissaires secrets les auxiliaires de Bretagne, ces cohortes bataves que nous avons vues partir pour la Germanie, et qui alors se trouvaient à Mayence. Il y avait chez les Canninéfates un homme appelé Brinnon, d’une audace brutale, d’une naissance éclatante. Son père, plus d’une fois rebelle, avait impunément bravé les ridicules expéditions de Caïus10. Le nom d’une famille signalée par la révolte fut un titre pour Brinnon : placé sur un bouclier, suivant l’usage du pays, et balancé sur les épaules de ses compagnons, il est proclamé chef ; aussitôt il appelle à son aide les Frisons, nation transrhénane, et se jette sur un camp de deux cohortes voisin de l’Océan et le plus à portée de son invasion. Les soldats n’avaient pas prévu cette attaque ; et, l’eussent-ils prévue, ils n’étaient pas en force pour la repousser. Le camp fut pris et pillé ; l’ennemi tombe ensuite sur les vivandiers et les marchands romains, épars çà et là dans toute la sécurité de la paix. Il menaçait de détruire tous nos postes ; les préfets de cohortes y mirent le feu, ne pouvant les défendre. Les drapeaux, les étendards, et tout ce qu’il y avait de troupes, furent réunis dans la partie supérieure de l’île, sous le commandement du primipilaire Aquilins : assemblage qui avait plutôt le nom que la force d’une armée. Vitellius avait enlevé l’élite et le nerf des cohortes, et, ramassant dans les bourgades voisines une foule confuse de Nerviens11 et de Germains, il avait chargé d’armes ces simulacres de soldats.

10. Voy. Suétone, Caligula, ch. XLIII-XLVIII, et Crévier, livre VII, § 2. Un des hauts faits de cet empereur, aussi ridicule que féroce, fut d’occuper toute une armée à ramasser des coquillages sur le bord de la mer. C’est ce qu’il appelait les dépouilles de l’Océan, dignes d’orner le Capitole et le palais impérial.
11. Ils habitaient le Hainaut.

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Civilis, croyant devoir employer la ruse, fut le premier à blâmer nos préfets d’avoir abandonné les forts. "Lui seul, disait-il, avec sa cohorte, étoufferait la révolte des Canninéfates ; chacun pouvait retourner dans ses quartiers d’hiver." Le piège était visible : on sentait que les cohortes éparses seraient plus facilement écrasées, et que le vrai chef