Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/589

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de cette guerre n’était pas Brinnon, mais Civilis : le secret de ses desseins perçait peu à peu, mal gardé par la joie belliqueuse des Germains. Voyant le peu de succès de la ruse, Civilis a recours à la force ; il fait des Canninéfates, des Frisons, des Bataves, trois corps séparés et tous formés en coin. On leur présenta la bataille près du Rhin, les vaisseaux, qu’on avait réunis en ce lieu depuis l’incendie des forts, ayant la proue tournée contre l’ennemi. Après un moment de combat, une cohorte de Tongres passa du côté de Civilis, et nos soldats, déconcertés par cette trahison, tombaient à la fois sous le fer des alliés et sous les coups des rebelles. La flotte fut le théâtre de la même perfidie. Une partie des rameurs étaient Bataves ; ils empêchent par une maladresse calculée le service des matelots et des combattants. Bientôt ils changent de direction et présentent les poupes à la rive où est l’ennemi. Enfin ils massacrent les pilotes et les centurions qui essayent de résister ; et la flotte entière, composée de vingt-quatre vaisseaux est prise ou se livre elle-même.

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Cette victoire procura aux ennemis gloire pour le présent, utilité pour l’avenir : elle leur donna des armes et des vaisseaux dont ils manquaient, et leur renommée fut grande dans les Gaules et la Germanie, qui les célébrèrent comme des libérateurs. La Germanie envoya aussitôt leur offrir des secours ; quant aux Gaules, Civilis employait l’adresse et les présents pour gagner leur alliance, renvoyant dans leur patrie les préfets de cohortes prisonniers, donnant aux cohortes elles-mêmes le choix de rester ou de se retirer. Celles qui restaient avaient dans l’armée un poste d’honneur ; on offrait aux autres une part de nos dépouilles ; en même temps il leur rappelait dans de secrets entretiens "les maux que la Gaule avait soufferts durant tant d’années d’une affreuse servitude, qu’elle décorait du nom de paix. Les Bataves, quoique exempts de tributs, avaient pris les armes contre les communs dominateurs : la première bataille avait dispersé et vaincu les Romains ; que serait-ce si les Gaules secouaient le joug ? et que restait-il de forces en Italie ? le sang des provinces domptait seul les provinces. Il ne fallait pas songer au combat de Vindex : c’était la cavalerie batave qui avait écrasé les Éduens et les Arvernes ; Virginius avait eu des Belges pour auxiliaires ; et, à vrai dire, la Gaule s’était vaincue elle-même. Maintenant il n’existait plus qu’un seul parti, fortifié de toute la vigueur de discipline qui eût jamais régné dans les camps