Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/606

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ravies sur le tombeau de la république, gorgé de sept millions de sesterces24, brillant de l’éclat du sacerdoce, tu enveloppais dans une même ruine des enfants innocents, de nobles vieillards, des femmes d’un rang élevé ; alors que tu accusais la lenteur de Néron, qui se fatiguait lui et ses délateurs à frapper une maison, puis une autre, comme s’il ne pouvait pas, disais-tu, anéantir d’un seul mot le sénat tout entrer. Conservez, pères conscrits, conservez soigneusement cet homme aux conseils sûrs et prompts, afin que chaque âge ait son école, et que, si Marcellus et Crispus sont le modèle de nos vieillards, nos jeunes gens prennent exemple de Régulus. Oui, la perversité, même malheureuse, trouve des imitateurs : que sera-ce si elle est forte et triomphante ? Et ce questeur d’hier que nous tremblons d’offenser, le verrons-nous donc préteur et consulaire ? Pensez-vous que Néron soit le dernier des tyrans ? ils l’avaient cru de Tibère et de Caïus, ceux qui leur survécurent, et cependant un nouveau tyran s’est élevé, plus cruel et plus détestable. Nous ne craignons rien de Vespasien ; son âge et sa modération nous rassurent, mais les exemples restent, les hommes passent. La langueur nous a gagnés, pères conscrits, et nous ne sommes plus ce sénat qui, après la mort de Néron, demandait que les délateurs et les ministres de la tyrannie fussent punis selon les lois de nos ancêtres. Le plus beau jour après un mauvais prince est toujours le premier."

23. Chargé de dépouilles consulaires, c’est-à-dire, des dépouilles d’un homme qui était consul ou l’avait été. Est-ce Crassus ? Est-ce Orphitus, qui en effet avait été consul ?
24. Sept millions de sesterces reviennent à 4 245 300 fr. de notre monnaie.

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Montanus fut entendu avec tant d’approbation par le sénat, qu’Helvidius en conçut l’espérance de renverser aussi Marcellus. Commençant donc par l’éloge de Cluvius Rufus, qui, riche comme lui et célèbre orateur, n’avait sous Néron mis personne en péril, il l’accablait à la fois de ses propres crimes et de l’innocence d’autrui. Les esprits étaient enflammés ; Marcellus s’en aperçut, et se levant comme pour sortir : "Nous partons, dit-il, Priscus, et nous te laissons ton sénat ; règne à la face de César." Vibius Crispus le suivait : tous deux allaient avec la même colère et non le même visage, Marcellus la menace dans les yeux, Vibius affectant de sourire. Leurs amis coururent à eux et les ramenèrent. Une lutte s’engagea, où d’un côté les plus honnêtes et les plus nombreux,