Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/609

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fortune, qui se plaît à rapprocher les grandeurs et les abaissements.

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Vers le même temps fut tué le proconsul L. Pison. Je raconterai le plus exactement possible l’histoire de ce meurtre, après avoir repris d’un peu plus haut quelques faits qui ne sont pas sans liaison avec l’origine et les causes de ces sortes de crimes. Du temps d’Auguste et de Tibère, la légion et les auxiliaires qui gardaient en Afrique les frontières de l’empire obéissaient à un proconsul. Caïus, esprit déréglé et qui se défiait de Silanus, alors gouverneur d’Afrique, ôta la légion à ce proconsul et la remit aux mains d’un lieutenant qu’il envoya exprès. Chacun des deux eut la moitié des nominations aux grades militaires ; et en confondant leurs droits on jeta entre eux les semences d’une discorde qui s’accrut dans de malheureuses rivalités. Le pouvoir des lieutenants s’augmenta par la durée de leur office25, ou parce que l’émulation est toujours plus active dans un inférieur : les proconsuls, pour peu qu’ils eussent un nom illustre, songeaient plus à leur sécurité qu’à leur puissance.

25. Le lieutenant restait en place tant qu’il plaisait à l’empereur ; les fonctions du proconsul ne duraient qu’une année.

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La légion d’Afrique était alors sous les ordres de Valérius Festus, officier d’une jeunesse fastueuse, d’une ambition démesurée, et inquiet de sa parenté avec Vitellius. On ne sait si ce fut lui qui, dans de fréquentes entrevues, sollicita Pison à la révolte, ou si ce fut Pison qui essaya vainement de l’y entraîner. Personne ne fut reçu dans leur confidence, et, Pison mort, la flatterie pencha pour son meurtrier. Un fait certain, c’est que la province et les troupes étaient mal disposées pour Vespasien. De plus, quelques Vitelliens qui s’étaient enfuis de Rome montraient à Pison "les Gaules chancelantes, la Germanie toute prête, ses propres dangers, et l’avantage d’une guerre déclarée sur une paix suspecte." Pendant ce temps Sagitta Claudius, préfet de la cavalerie Pétrina, ayant par une navigation heureuse devancé le centurion Papirius, envoyé de Mucien, arrive et déclare que "le centurion a reçu l’ordre de tuer Pison ; que Galérianus, son cousin et son gendre, est déjà mort ; qu’il n’a de salut que dans l’audace ; mais que, pour oser, deux routes lui sont ouvertes : prendre aussitôt les armes, ou gagner la Gaule par mer et s’offrir pour chef aux armées vitelliennes." Ces paroles laissèrent Pison immobile. Cependant