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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/608

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la faveur qu’on leur avait promise. Les prétoriens mêmes de Vitellius ne pouvaient être renvoyés sans une grande effusion de sang. Mucien se rendit au camp, et, pour mieux reconnaître les titres de chacun, il rangea les vainqueurs avec leurs armes et leurs décorations militaires à quelque distance l’un de l’autre. Puis les Vitelliens qu’on avait reçus à discrétion prés de Boville, et tous ceux qu’on put trouver à Rome et dans les environs, furent amenés presque nus. Mucien ordonne qu’on les divise et qu’on les place séparément, suivant qu’ils venaient de Germanie, de Bretagne ou des autres provinces. Le premier aspect les avait frappés de stupeur, lorsqu’en face de bataillons hérissés de fer et armés comme pour le combat, ils s’étaient vus enfermés eux-mêmes et tout hideux de misère et de nudité. Mais quand on se mit à les entraîner l’un à droite, l’autre à gauche, ils tremblèrent tous, et principalement les soldats de Germanie, qui crurent que cette séparation étai le signal de leur mort. Ils se pressent contre le sein de leurs camarades, se jettent à leur cou, leur demandent un dernier embrassement, les conjurant de ne pas les abandonner seuls, et de ne pas souffrir, dans une cause semblable, des fortunes différentes. Tantôt c’est Mucien qu’ils invoquent, tantôt c’est le prince absent, tantôt le ciel et les dieux. Enfin Mucien dissipa cette fausse alarme en les appelant tous soldats du même empereur, engagés par le même serment. L’armée victorieuse appuyait d’ailleurs de ses cris les pleurs des suppliants. Ainsi se termina cette journée. Quelques jours plus tard, une allocution de Domitien fut reçue d’un autre air. Rassurés contre la peur, ils refusent les terres qu’on leur offre ; les travaux et la paye du soldat sont la grâce qu’ils demandent. C’étaient des prières, mais des prières qui ne souffraient pas de contradiction. On les admit donc au rang de prétoriens. Ensuite ceux qui avaient assez d’âge ou de service furent congédiés avec honneur. D’autres le furent par punition, mais en détail et individuellement : moyen le plus sûr pour affaiblir dans une multitude les résistances concertées.

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Soit que le trésor fût réellement pauvre, ou afin qu’il le parût, le sénat résolut d’emprunter aux particuliers soixante millions de sesterces, et Poppéus Silvanus fut chargé de ce soin. Bientôt la détresse cessa, ou peut-être la feinte. On révoqua, sur la proposition de Domitien, les consulats que Vitellius avait donnés, et Flavius Sabinus fut honoré de funérailles publiques : exemples mémorables des caprices de la