Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/615

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n’était pas loin de Vétéra, lorsque Tutor et Classicus prirent les devants comme pour aller à la découverte, et confirmèrent l’alliance commencée avec les chefs des Germains. Depuis ce moment, ils restèrent séparés des légions et s’entourèrent d’un retranchement particulier. Vocula protestait "que l’empire n’était pas encore assez bouleversé parles guerres civiles pour être en dédain même aux Lingons et aux Trévires ; qu’il lui restait des provinces fidèles, des armées victorieuses, la fortune de Rome et les dieux vengeurs ; qu’ainsi avaient succombé dès le premier combat, jadis Sacrovir et les Éduens31, naguère Vindex et toutes les Gaules ; que les mêmes dieux et les mêmes destins menaçaient encore les infracteurs des traités. Ah ! que le grand César et le divin Auguste avaient bien mieux connu l’esprit de ces peuples ! c’était Galba qui, en brisant le frein des impôts, les avait enhardis à la révolte. Ils étaient ennemis maintenant, parce que le joug était trop léger ; quand ils seraient nus et dépouillés, l’amitié reviendrait." Après ces mots, prononcés avec colère, voyant Classicus et Tutor persister dans leur trahison, il retourne sur ses pas et se retire à Novésium. Les Gaulois campèrent dans une plaine à deux milles des nôtres. Là se rendaient à chaque instant des centurions et des soldats dont on achetait la foi, trafic monstrueux et inouï, par lequel une armée romaine s’obligeait à jurer obéissance à l’étranger, et promettait, pour gage d’une si criminelle transaction, la mort ou la captivité de ses généraux. La plupart conseillaient la fuite à Vocula ; il préféra le parti de l’audace, et, après avoir convoqué les soldats, il leur tint ce discours.

31. Voy. Annales, liv. III, ch. XL et suivants.

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"Jamais je n’ai parlé devant vous plus inquiet sur votre sort ni plus tranquille sur le mien. Ma perte est résolue, je le sais et je m’en réjouis ; au milieu de tant de maux, j’attends la mort comme la fin de mes souffrances. C’est de vous que j’ai honte et pitié, de vous à qui l’on ne daigne pas même offrir le combat : ce serait une guerre trop loyale et trop franche. Classicus compte sur vos bras pour attaquer le peuple romain ; il montre à votre obéissance l’empire des Gaules et attend vos serments. Ah ! si la fortune et le courage nous ont abandonnés aujourd’hui, le passé n’a-t-il donc plus d’exemples ?