Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moments : ses affranchis et ses esclaves l’empêchèrent de prévenir, en se donnant la mort, un horrible assassinat. Classicus se hâta de le faire tuer par Émilius Longinus, déserteur de la première légion, qu’il envoya exprès. Il crut suffisant de mettre aux fers les lieutenants Hérennius et Numisius ; ensuite il prit les marques distinctives d’un général romain et se rendit au camp. Tout endurci qu’il était aux crimes les plus hardis, il ne trouva de paroles que pour prononcer la formule du serment : ceux qui étaient présents jurèrent fidélité à l’empire des Gaules. Il éleva aux premiers grades le meurtrier de Vocula ; les autres furent récompensés en proportion de leurs crimes. Tutor et Classicus se partagèrent les soins de la guerre. Tutor investit Cologne avec une forte troupe, y reçut le même serment et le fit prêter à tout ce qu’il y avait de soldats sur le haut Rhin. A Mayence, il tua les tribuns et chassa le préfet du camp, pour l’avoir refusé. Classicus choisit parmi les transfuges les hommes les plus corrompus, et les envoie à Vétéra offrir le pardon aux assiégés, s’ils veulent suivre le nouvel étendard : "Autrement, plus d’espérance : la faim, le fer, toutes les calamités les menacent à la fois." A ces arguments les envoyés ajoutèrent leur propre exemple.

60

Le devoir d’un côté, la famine de l’autre, les tenaient partagés entre l’honneur et l’opprobre. Pendant cette hésitation, les aliments, même les moins faits pour l’homme, manquaient à leurs besoins : tout était dévoré, chevaux, bêtes de somme, et jusqu’aux animaux immondes et dégoûtants, dont la nécessité les avait contraints de se nourrir. Réduits à ronger le bois et la racine des plantes, arrachant l’herbe qui pousse entre les pierres, on vit en eux le comble des misères et le modèle du courage, jusqu’à ce qu’ils ternissent de si beaux titres de gloire par une fin honteuse, en députant vers Civilis pour lui demander la vie. Encore ne voulut-on pas écouter leurs prières qu’ils n’eussent juré obéissance à l’empire des Gaules. Alors Civilis, s’étant réservé le pillage du camp, envoie des gardes pour s’assurer de l’argent, des valets d’armée, des bagages, et d’autres pour escorter les soldats, qui sortirent sans rien emporter. A cinq milles environ, les Germains s’élancent d’une embuscade et tombent à l’improviste sur la colonne. Les plus intrépides furent tués sur la place ; beaucoup périrent en fuyant ; le reste rebroussa chemin et se réfugia dans le camp. Civilis se plaignit des Germains et les réprimanda de cette criminelle violation de la foi donnée. Son indignation était-