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MŒURS DES GERMAINS.

ses longues et merveilleuses aventures, Ulysse, porté jusque sur cet océan, aborda aux terres de Germanie, et que la ville d’Asciburgium[1], située sur le Rhin et qui subsiste encore, lui doit son origine et son nom. On ajoute qu’un autel consacré à Ulysse, et sur lequel on lit aussi le nom de Laerte, fut trouvé jadis au même lieu, et que des monuments et des tombeaux, avec des inscriptions en caractères grecs, existent encore aujourd’hui sur les confins des Germains et des Rhètes. Je n’ai dessein ni d’appuyer ni de combattre ces assertions ; chacun peut à son gré les rejeter ou les croire.

IV. Du reste je me range à l’avis de ceux qui pensent que le sang des Germains ne fut jamais altéré par des mariages étrangers, que c’est une race pure, sans mélange, et qui ne ressemble qu’à elle-même. De là cet air de famille qu’on remarque dans cette immense multitude d’hommes : des yeux bleus et farouches ; des cheveux roux ; des corps d’une haute stature et vigoureux pour un premier effort, mais peu capables de travail et de fatigues, et, par un double effet du sol et du climat, résistant aussi mal à la soif et à la chaleur qu’ils supportent facilement le froid et la faim.

V. Le pays, quoique offrant des aspects divers, est en général hérissé de forêts ou noyé de marécages, plus humide vers les Gaules, plus battu des vents du côté de la Norique[2] et de la Pannonie. Favorable aux grains, il repousse les arbres à fruits. Le bétail y abonde, mais l’espèce en est petite ; les bœufs même y semblent dégénérés, et leur front est privé de sa parure. On aime le grand nombre des troupeaux ; c’est la seule richesse des Germains, le bien qu’ils estiment le plus. Les dieux (dirai-je irrités ou propices ?) leur ont dénié l’or et l’argent. Je n’affirmerais pas cependant qu’aucune veine de leur terre ne recèle ces métaux : qui pensa jamais à les y chercher ? Ces peuples sont loin d’attacher à leur usage et à leur possession les mêmes idées que nous. On voit chez eux des vases d’argent donnés en présent à leurs ambassadeurs et

  1. Asburg (ou Asberg) près de Mœrs, sur le Rhin.
  2. Le Noricum (ou la Norique) s’étendait, dit d’Anville, le long de la rive méridionale du Danube, depuis l’embouchure de l’Inn jusqu’au mont Cétius, qui s’enfonce dans un coude que forme le Danube, peu au-dessus de la position de Vienne. Embrassant la partie supérieure du cours de la Drave, et comprenant ce qui compose aujourd’hui la Carinthie et la Styrie, il était borné vers le midi par le sommet des Alpes. Le Noricum devint une province romaine sous le règne d’Auguste.