Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
626
MŒURS DES GERMAINS.

à leurs chefs : ils les prisent aussi peu que si c’était de l’argile. Toutefois les plus voisins de nous tiennent compte de l’argent et de l’or, comme utiles au commerce. Ils connaissent et distinguent quelques-unes de nos monnaies. Ceux de l’intérieur, plus fidèles à l’antique simplicité, trafiquent par échange. Les espèces préférées sont les pièces anciennes et depuis longtemps connues, comme les serrati et les bigati[1]. L’argent est aussi plus recherché que l’or ; et le goût n’est pour rien dans cette préférence : elle vient de ce que la monnaie d’argent est plus commode pour des hommes qui n’achètent que des objets communs et de peu de valeur.

VI. Le fer même n’abonde pas chez eux, si l’on en juge par leurs armes. Peu font usage de l’épée ou de la grande lance. Ils portent des piques, ou, comme ils les appellent, des framées à fer étroit et court. Cette arme est fort acérée et si maniable qu’ils s’en servent, suivant l’occasion, de près comme de loin. Les cavaliers se contentent du bouclier et de la framée ; les gens de pied ont de plus des javelots ; chaque homme en lance plusieurs et à d’immenses distances. Ils sont nus ou couverts d’un léger sayon : ils ne font point leur gloire de la parure ; seulement ils peignent leurs boucliers de couleurs variées et choisies. On voit peu de cuirasses dans leurs armées, à peine un ou deux casques. Leurs chevaux ne sont remarquables ni par la beauté ni par la vitesse. On ne les dresse pas même comme chez nous aux évolutions : ils les poussent en avant, ou, pour toute manœuvre ils les font tourner à droite, mais avec tant d’ensemble, que pas un ne reste en arrière. En général, c’est l’infanterie qui fait leur force ; aussi dans les combats en mêlent-ils avec la cavalerie. Des hommes capables de suivre à pied la rapidité des chevaux sont choisis pour ce service dans toute la jeunesse, et placés à la première ligne. Le nombre en est fixé ; il est de cent par canton. On les appelle même les cent ; et, de simple expression d’un nombre, ce mot est devenu un nom et un titre d’honneur. Leur ordre de bataille est le coin. Reculer, pourvu qu’on revienne à la charge, leur semble prudence plutôt que lâcheté. Même dans les défaites, ils emportent leurs morts. Le comble du déshonneur est d’avoir quitté son bouclier : l’homme souillé de cette tache ne peut assister aux sacrifices, ni entrer au conseil public ; et

  1. Pièces d’argent dentelées comme une scie, serrati, ou portant l’empreinte d’un char à deux chevaux, bigati.