Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
629
MŒURS DES GERMAINS.

velle, ou quand elle est dans son plein ; ils croient qu’on ne saurait traiter les affaires sous une influence plus heureuse. Ce n’est pas, comme chez nous, par jours, mais par nuits, qu’ils calculent le temps ; ils donnent ainsi les rendez-vous, les assignations : la nuit leur paraît marcher avant le jour. Un abus naît de leur indépendance ; c’est qu’au lieu de se rassembler tous à la fois, comme s’ils obéissaient à un ordre, ils perdent deux ou trois jours à se réunir. Quand l’assemblée paraît assez nombreuse, ils prennent séance tout armés. Les prêtres, à qui est remis le pouvoir d’empêcher le désordre, commandent le silence. Ensuite le roi, ou celui des chefs que distingue le plus son âge, ou sa noblesse, ou ses exploits, ou son éloquence, prend la parole et se fait écouter par l’ascendant de la persuasion, plutôt que par l’autorité du commandement. Si l’avis déplaît, on le repousse par des murmures ; s’il est approuvé, on agite les framées. Ce suffrage des armes est le signe le plus honorable de leur assentiment.

XII. On peut aussi accuser devant le conseil public, et y poursuivre des affaires capitales. Les peines varient suivant les délits. On pend à un arbre les traîtres et les transfuges ; les lâches, ceux qui fuient les combats ou qui dégradent leur sexe, sont plongés dans la fange d’un bourbier, et noyés sous une claie. Cette diversité de supplices tient à l’opinion qu’il faut, en punissant, montrer le crime et cacher l’infamie. Il y a, pour les fautes plus légères, des châtiments proportionnés. Le coupable paye une amende en chevaux ou en bétail ; une partie est livrée au roi ou à la cité, le reste à l’offensé ou à sa famille. On choisit dans ces mêmes assemblées des chefs qui rendent la justice dans les cantons et les villages. Ils ont chacun cent assesseurs tirés du peuple, qui leur servent de conseil et ajoutent à l’autorité de leurs jugements.

XIII. Ils ne traitent aucune affaire publique ni particulière sans être armés ; mais nul Germain ne porte les armes, que la cité ne l’en ait reconnu capable. Alors un des chefs, ou le père du jeune homme, ou un de ses parents, le décore, en pleine assemblée, de la framée et du bouclier. C’est là sa robe virile ; ce sont là ses premiers honneurs : auparavant il était membre d’une famille, il devient membre de l’État. Une naissance illustre, ou les services éclatants d’un père, donnent à quelques-uns le rang de prince dès la plus tendre jeunesse ; les autres s’attachent à des chefs dans la force de l’âge et dès longtemps éprouvés ; et ce rôle de compagnon n’a rien dont on