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MŒURS DES GERMAINS.

glaives et de framées. L’exercice a produit l’adresse, et de l’adresse est née la grâce. Et ici, nul espoir de récompense : l’unique salaire de ce périlleux divertissement, c’est le plaisir des spectateurs. Ils connaissent les jeux de hasard, et (chose étonnante) ils s’en font, même à jeun, la plus sérieuse occupation ; si follement acharnés au gain ou à la perte, que, quand ils n’ont plus rien, ils jouent encore, dans un dernier coup de dés, leur personne et leur liberté. Le vaincu va lui-même se livrer à la servitude. Fût-il le plus jeune, fût-il le plus robuste, il se laisse enchaîner et vendre. Tel est, dans un engagement contre nature, leur fanatique résignation : eux l’appellent loyauté. On se défait, par le commerce, des esclaves de cette espèce, pour se délivrer en même temps de la honte d’une telle victoire.

XXV. Les autres esclaves ne sont pas classés comme chez nous, et attachés aux différents emplois du service domestique. Chacun a son habitation, ses pénates, qu’il régit à son gré. Le maître leur impose, comme à des fermiers, une certaine redevance en blé, en bétail, en vêtements ; là se borne la servitude. Les soins intérieurs de la maison appartiennent à la femme et aux enfants. Frapper ses esclaves, ou les punir par les fers ou un travail forcé, est chose rare. On les tue quelquefois, non par esprit de discipline et de sévérité, mais dans un mouvement de colère, comme on tue un ennemi, à cela près que c’est impunément. Les affranchis ne sont pas beaucoup au-dessus des esclaves. Rarement ils ont de l’influence dans la maison ; jamais ils n’en ont dans l’État. J’excepte les nations soumises à des rois ; là ils s’élèvent au-dessus des hommes nés libres, au-dessus même des nobles. Ailleurs, l’abaissement des affranchis est une preuve de liberté.

XXVI. Exercer l’usure et l’appliquer à son produit même, est une pratique ignorée des Germains, et cette ignorance vaut mieux qu’une défense expresse. Chaque tribu en masse occupe tour à tour le terrain qu’elle peut cultiver, et le partage selon les rangs. L’étendue des campagnes facilite cette répartition. Ils changent de terres tous les ans, et ils n’en manquent jamais. C’est que l’homme ne s’évertue pas à épuiser le sol et à rétrécir l’espace, pour le plaisir de planter des vergers, d’enclore des prairies, d’arroser des jardins : ils ne demandent à la terre que des moissons. Aussi l’année même n’est-elle pas divisée en autant de saisons que chez nous. L’hiver, le printemps, l’été, ont un sens pour eux, et sont