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MŒURS DES GERMAINS.

les absout de la lâcheté reprochée à ceux-ci. Quant à la rive même du Rhin ; elle est habitée par des peuples évidemment germains, les Vangions, les Triboques, les Némètes[1]. Les Ubiens le sont aussi ; et, quoique ayant mérité d’être colonie romaine, quoique aimant à s’appeler Agrippiniens, du nom de leur fondatrice[2], ils ne rougissent pas de cette origine. Ils passèrent anciennement le Rhin, et, sur la preuve acquise de leur fidélité, ils furent placés au bord même du fleuve, comme défenseurs et non comme prisonniers.

XXIX. La plus intrépide de toutes ces nations, les Bataves[3], sans tenir beaucoup de place sur la rive du fleuve, en occupent une île. Ce fut jadis une tribu de Cattes, qui, chassée par une sédition domestique, se réfugia dans ce pays, où elle devait un jour faire partie de notre empire. Un beau privilège atteste et honore leur ancienne alliance : ils ne sont ni flétris par des impôts, ni écrasés par des publicains. Exempts de charges et de contributions, uniquement destinés aux combats, on les garde, comme on garde du fer et des armes, pour s’en servir à la guerre. Les Mattiaques[4] nous obéissent au même titre ; car la grandeur du peuple romain a étendu jusqu’au delà du Rhin et de ses frontières anciennes le respect de ses lois. Les demeures et le territoire des Mattiaques sont sur l’autre rive, leurs âmes et leurs cœurs sont avec nous : du reste, ils ressemblent aux Bataves, si ce n’est que l’énergie du sol et du climat natal leur donne un esprit plus belliqueux. Je ne compterai pas au nombre des peuples germains, quoiqu’ils habitent au delà du Rhin et du Danube, ceux qui exploitent les terres Décumates[5]. Des aventuriers gaulois, ani-

Tacite.
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  1. Selon d’Anville, les Triboci habitaient vers Strasbourg ; puis, en descendant le Rhin, venaient les Nemetes ; enfin, du côté de Spire et de Worms, les Vangiones.
  2. Ce fut Agrippine, fille de Germanicus et femme de Claude, qui établit une colonie romaine dans la ville des Ubiens, nommée aujourd’hui Cologne.
  3. On ignore à quelle époque eut lieu leur migration : César les trouva déjà établis entre la Meuse et le Vahl, qui est un bras du Rhin.
  4. Ce peuple habitait de l’autre côté du Rhin, sur les bords de la Lahn, du Mein et de l’Éder.
  5. Le nom de champs Décumates est évidemment synonyme de decumanus ager, employé par Cicéron pour désigner les terres qui devaient aux Romains la dîme de leurs fruits. Brottier et Labletterie, d’après Schoepflin (Alsalia illustrata), étendent ce pays jusqu’à la rive septentrionale du haut