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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/669

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MŒURS DES GERMAINS.

fer (signe d’ignominie chez cette nation), et le portent comme une chaîne, jusqu’à ce qu’ils se rachètent par la mort d’un ennemi. La plupart des Cattes aiment à paraître avec ce symbole. Ils blanchissent sous d’illustres fers, qui les signalent également aux ennemis et à leurs frères. Ils ont le privilège de commencer tous les combats ; c’est d’eux qu’est toujours formée la première ligne, dont le coup d’œil étonne ; car ces visages farouches ne s’adoucissent même pas dans la paix. Aucun de ces guerriers n’a ni maison, ni terre, ni souci de chose au monde. Ils se rendent chez le premier venu et s’y font nourrir, prodigues du bien d’autrui, indifférents au leur, jusqu’à ce que la vieillesse glacée leur interdise une si rude vertu.

XXXII. Tout près des Cattes, les Usipiens et les Tenctères habitent sur le Rhin[1], qui à cet endroit coule encore dans un lit assez fixe pour servir de limite. Aux autres mérites des guerriers, les Tenctères unissent, par excellence, l’art de combattre à cheval, et l’infanterie des Cattes n’est pas plus renommée que la cavalerie des Tenctères. Les ancêtres ont donné l’exemple ; les descendants s’y conforment. Monter à cheval est l’amusement de l’enfance ; c’est toute l’émulation des jeunes gens ; c’est encore l’exercice des vieillards. Les chevaux sont une propriété qui se transmet ainsi que les esclaves, les pénates, les droits de la succession ; un des fils en hérite, non le plus âgé, comme des autres biens, mais le plus intrépide à la guerre et le meilleur cavalier.

XXXIII. Après les Tenctères se trouvaient les Bructères[2], remplacés maintenant par les Chamaves et les Angrivariens : car les Bructères, viennent, dit-on, d’être chassés et anéantis par une ligue des nations voisines, qu’a soulevée contre eux la haine de leur orgueil, ou l’appât du butin, ou peut-être une faveur particulière des dieux envers nous. Et le ciel ne nous a pas même envié le spectacle du combat : soixante mille hommes sont tombés, non sous le fer et les coups des Romains, mais, ce qui est plus admirable, devant leurs yeux et pour leur amusement. Puissent, ah ! puissent les nations, à défaut d’amour pour nous, persévérer dans cette haine d’elles-mêmes, puisque, au point où les destins ont amené l’empire, la fortune

  1. Sur le Bas-Rhin, en face et au-dessous de Cologne.
  2. Ce peuple occupait la partie basse de la Westphalie, entre l’Ems et la Lippe.