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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/682

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vie de cn. julius agricola.

de tous ses efforts, telle fut la règle de sa conduite. Jamais assurément la Bretagne ne fut plus agitée et plus en péril : les vétérans massacrés, les colonies en cendres, les armées investies, on combattait pour l’existence ; bientôt on combattit pour la victoire. Tout sans doute se faisait par les conseils et sous la direction d’un autre, et au général seul, comme chef suprême, revint l’honneur d’avoir sauvé la province. Toutefois cette campagne fut pour le jeune Agricola une source de connaissances, d’expérience et d’émulation, et son âme s’ouvrit au désir de la gloire militaire, désir mal secondé par un siècle où l’on tenait pour suspects les talents supérieurs, et dans lequel une grande réputation n’était pas moins dangereuse qu’une mauvaise.

VI. De l’armée il revint à Rome pour solliciter les honneurs, et il s’unit en mariage à Domitia Décidiana, dont la haute naissance décora son nom d’un nouveau lustre et facilita son élévation. Les deux époux vécurent dans une admirable concorde, pénétrés d’une tendresse mutuelle, et chacun donnant à l’autre la préférence sur soi-même, bien qu’à vrai dire la plus grande part soit due à la femme dans l’éloge de la vertu comme dans le blâme du vice. Nommé questeur, le sort lui donna pour département l’Asie, pour proconsul Salvius Titianus. Son intégrité n’échoua pas contre ce double écueil, quoique une aussi riche province offrit mille occasions de mal faire, et que le proconsul, d’une avidité sans bornes, eût acheté volontiers, par une connivence intéressée, la réciprocité du silence. Là, sa maison s’accrut d’une fille, destinée à en être le soutien et la consolation ; car il perdit bientôt un fils qu’il avait eu auparavant. Il passa dans le repos et l’absence des affaires l’intervalle de sa questure à son tribunat, et l’année même où il fut tribun : il savait que, sous Néron, l’inaction était sagesse. Pendant sa préture, même conduite, même silence : aussi bien il ne lui était point échu de juridiction. Dans les jeux et dans tout ce qui a pour objet une vaine représentation, il allia si bien l’économie et la magnificence, qu’en évitant la prodigalité il ne s’en fit que plus d’honneur. Choisi par Galba pour reconnaître les dons enlevés aux temples, il mit dans ses recherches une telle exactitude, que les sacrilèges de Néron furent les seuls dont la république eut à gémir.

VII. L’année suivante affligea son cœur et sa maison d’une perte cruelle : les soldats de la flotte d’Othon, qui, courant de