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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/69

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la distance où atteignaient leurs longues piques. Nos légions commençaient à plier, quand la nuit vint les soustraire à un combat inégal. Le succès rendait les Germains infatigables : au lieu de prendre du repos, ils détournent toutes les eaux qui coulent des hauteurs environnantes, les versent dans la vallée, et, en noyant les ouvrages faits, doublent le travail du soldat. C’était la quarantième année que Cécina passait dans les camps, soit à obéir, soit à commander : l’expérience de la bonne et de la mauvaise fortune l’avait aguerri contre la crainte. Après avoir calculé toutes les chances, il ne trouva d’autre parti à prendre que de contenir l’ennemi dans les bois, tandis qu’il ferait passer d’abord les blessés et les bagages. Entre les collines et les marais s’allongeait une plaine étroite, où l’on pouvait ranger une armée sur peu de profondeur. Il choisit la cinquième légion pour former la droite ; il donne la gauche à la vingt et unième ; la première devait conduire la marche, et la vingtième la protéger par derrière.

LXV. La nuit fut sans repos des deux côtés ; mais les festins joyeux des barbares, leurs chants d’allégresse, leurs cris effrayants répercutés par l’écho des vallées et des bois, et, chez les Romains, des feux languissants, des soldats couchés auprès des palissades ou errant le long des tentes, moins occupés de veiller qu’incapables de dormir, faisaient un étrange contraste. Un songe affreux épouvanta le général : Quintilius Varus, tout couvert de sang, lui parut se lever du fond de ces marais ; il crut entendre, sans toutefois y obéir, sa voix qui l’appelait, et repousser sa main étendue vers lui. Au retour de la lumière, les légions envoyées sur les ailes, soit crainte, soit esprit de révolte, quittèrent leur poste et gagnèrent à la hâte un champ situé au-delà du marais. Arminius pouvait charger sans obstacle : il ne le fit point. Mais quand il vit les bagages embarrassés dans la fange et dans les fossés, et, tout autour, les soldats en désordre, les enseignes confondues, il profita de ce moment où chaque homme, tout entier au soin de sa conservation, n’entend plus la voix des chefs, pour donner aux Germains le signal de l’attaque : « Voilà Varus, s’écrie-t-il, voilà ses légions que leur fatalité nous livre une seconde fois. » Il dit ; et, avec l’élite de ses guerriers, il rompt notre ligne, et s’attache surtout à blesser les chevaux. Le pied manquait à ces animaux sur une terre glissante et mouillée de leur sang : ils renversent leurs cavaliers, dispersent tout devant eux, écrasent tout sur leurs pas. Les plus laborieux efforts se firent