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vie de cn. julius agricola.

guillonne la lenteur, et l’émulation qu’il excite tient lieu de contrainte. Cependant, il faisait instruire les enfants des chefs dans les beaux-arts, et affectait de préférer l’esprit naturel des Bretons aux talents acquis des Gaulois ; de sorte que ces peuples, qui naguère dédaignaient la langue des Romains, se passionnèrent bientôt pour leur éloquence. Notre habit même fut mis en honneur, et la toge devint à la mode. Peu à peu on se laissa tenter aux séductions de nos vices : on connut les portiques, les bains, l’élégance des repas ; et ces hommes sans expérience appelaient civilisation ce qui était une partie de leur servitude.

XXII. La troisième campagne nous ouvrit de nouvelles contrées, et tout fut ravagé jusqu’à l’embouchure du Taüs[1]. Les ennemis, frappés de terreur, n’osèrent inquiéter l’armée, toute harassée qu’elle était par d’affreuses tempêtes : on eut même le loisir d’élever des forts. Les habiles remarquaient que jamais capitaine n’avait su mieux choisir ses positions ; et pas une des forteresses construites par Agricola ne fut ni prise d’assaut, ni rendue, ni abandonnée. Les garnisons faisaient de fréquentes sorties : approvisionnées pour un an, elles pouvaient soutenir de longs siéges. Ainsi l’hiver était sans alarmes ; et chaque poste, se suffisant à lui-même, bravait les at- taques et désespérait l’ennemi, qui, au lieu de réparer, suivant sa coutume, les pertes de l’été par les succès de l’hiver, se voyait, en été, en hiver, également repoussé. Et Agricola ne détourna jamais au profit de sa gloire les services d’autrui : centurions, préfets, tous avaient en lui un témoin véridique de leurs actions. Quelques-uns le trouvaient un peu amer dans les réprimandes : c’était l’effet de son caractère, affable aux bons, rude aux méchants. Du reste, la colère ne laissait rien dans son cœur : on n’avait à craindre ni sa solitude ni son silence ; il croyait plus généreux d’offenser que de haïr.

XXIII. Il employa le quatrième été à s’assurer des pays qu’il avait parcourus ; et, s’il était des limites pour la valeur de nos armées et la gloire du nom romain, ces limites furent trouvées dans la Bretagne même. En effet, les rivières de Glota et de Bodotria[2], refoulées bien avant dans les terres par le flux de deux mers opposées, ne laissent entre elles qu’un

  1. Ce Taüs est probablement la Tweede, qui coule entre le Northumberland et l’Écosse, et se jette dans la mer du Nord, à Berwick
  2. La Clyde et la Forth.