Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/701

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

marcher à leur rencontre quatre ailes de cavalerie qu’il tenait en réserve pour les besoins imprévus. Ce corps les repoussa d’autant plus vivement qu’ils étaient accourus avec plus de confiance, et les mit en déroute. Ainsi le stratagème des Bretons fut tourné contre eux-mêmes ; et la cavalerie, quittant le front de bataille par l’ordre du général, fondit sur les derrières de l’armée ennemie. C’est alors que, dans toute l’étendue de la plaine, parut un grand et horrible spectacle : le Romain poursuit, blesse, fait des prisonniers, les tue pour en faire d’autres ; les ennemis, chacun suivant son instinct, fuient par bandes armées devant quelques hommes, ou, seuls et sans armes, se précipitent au milieu des vainqueurs et s’offrent à la mort. Partout des armes éparses, des cadavres, des membres déchirés, la terre rougie de sang. Quelquefois aussi un retour de vengeance et de courage ranimait les vaincus : ils se rallièrent à l’entrée des forêts, et cherchèrent à envelopper ceux des nôtres qui, les suivant de plus près, s’engageaient imprudemment dans des routes inconnues. Si Agricola, présent partout, n’eût formé autour des bois comme une enceinte de ses cohortes les plus vigoureuses et les plus lestes, et ordonné à une partie des cavaliers de pénétrer à pied dans les endroits fourrés, tandis que le reste, à cheval, battrait les clairières, nous aurions payé par quelque échec un excès de confiance. Quand les Bretons virent qu’on les poursuivait de nouveau en bon ordre et les rangs serrés, ils recommencèrent à fuir, mais non plus par troupes et sans se perdre de vue : épars, s’évitant les uns les autres, ils s’égarent au loin dans les lieux les moins pratiqués. La nuit et la satiété mirent fin à la poursuite. Dix mille ennemis furent tués : nous perdîmes trois cent soixante hommes, parmi lesquels Aulus Atticus, préfet d’une cohorte, qui fut emporté au milieu des barbares par l’ardeur de sa jeunesse et la fougue de son cheval.

XXXVIII. Victorieux et chargés de butin, les Romains passèrent la nuit dans la joie. Les Bretons, hommes et femmes, errant au hasard et confondant leurs lamentations, entraînent leurs compagnons blessés, appellent ceux qui ne le sont pas, abandonnent leurs maisons, et, de colère, y mettent eux-mêmes le feu, choisissent des retraites et les quittent aussitôt, se concertent un moment, puis se désunissent. Atterrés quelquefois à l’aspect de ce qui leur était cher, plus souvent cette vue les exaspérait ; et l’on assura même que plusieurs, cruels par pitié, avaient tué leurs femmes et leurs enfants. Le jour sui-