Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/707

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C’est là notre désespoir, c’est la blessure qui nous tue : par le malheur d’une trop longue absence, nous vous avons perdu quatre ans avant le temps. Sans doute, à le meilleur des pères, les soins de la plus tendre épouse ont tout prodigué pour honorer vos funérailles ; mais trop peu de larmes ont arrosé votre cendre, et vos yeux, s’ouvrant pour la dernière fois, ont eu quelque chose à désirer.

XLVI. S’il est un lieu destiné aux mânes de l’homme vertueux, si, comme le pensent les sages, les grandes âmes ne s’éteignent pas avec le corps, reposez en paix, Ô Agricola, et nous élevant, nous votre famille, au-dessus des vains regrets et des pusillanimes lamentations, appelez-nous à la contemplation de vos vertus, que profaneraient les larmes et les sanglots. Ah ! notre admiration, nos louanges immortelles, et, si la nature le permet, notre ressemblance avec vous, les honoreront bien mieux. Voilà l’hommage, voilà les devoirs qu’imposent les liens du sang. C’est ainsi qu’il convient à la fille et à l’épouse d’Agricola de révérer la mémoire d’un père, d’un époux ; c’est en méditant continuellement ses actions et ses paroles, en s’attachant à sa renommée, à l’image de son âme, bien plus qu’à celle de son corps. Non que je veuille interdire ces représentations que nous offre ou le marbre ou le bronze ; mais les traits de l’hemme sont fragiles et périssables, et, comme eux, les simulacres qui les représentent : la figure seule de l’âme est éternelle ; et nul art ne peut la dessiner, nulle matière en recevoir l’empreinte : c’est à l’homme même de la retracer dans ses mœurs. Tout ce que nous avons ad- miré dans Agricola demeure et demeurera, pendant tous les siècles, dans l’esprit des hommes, avec le souvenir de ses faits glorieux. Beaucoup d’anciens héros dormiront, sans honneur et sans gloire, dans le néant de l’oubli : Agricola, transmis par l’histoire à la postérité, vivra éternellement.