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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/710

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et leurs développements, sans rien changer à l’ordre de la discussion. Car l’opinion contraire ne manqua pas d’avoir aussi un défense qui, prenant plaisir à maltraiter et à railler le vieux temps, préféra hautement aux génies antiques la moderne éloquence.

II. Curiatius Maternus avait lu publiquement sa tragédie de Caton, ouvrage où, s’oubliant lui-même pour ne songer qu’à son héros, il avait, disait-on, blessé les puissances. Le lendemain de cette lecture, et lorsque la ville entière s’occupait de ses périls, il reçut la visite de M. Aper et de Julius Sécundus alors les deux plus célèbres talents de notre barreau. Je les fréquentais l’un et l’autre, et, non content d’écouter curieusement leurs plaidoyers, je ne les quittais ni à leur maison ni dehors. Un merveilleux désir d’apprendre et une certaine ardeur de jeunesse me faisaient recueillir leurs moindres paroles, leurs conversations, et jusqu’aux secrètes confidences de leur intimité. Ce n’est pas que la malignité ne refusât généralement à Sécundus une élocution facile, et ne prétendît qu’Aper devait à un heureux naturel, plutôt qu’à l’étude et aux lettres, sa réputation d’éloquence. Le fait est que Sécundus, toujours pur et serré, n’en avait pas moins ce qu’il fallait d’abondance ; et Aper, de son côté, possédant une érudition ordinaire, méprisait les lettres plutôt qu’il ne les ignorait. Il croyait sans doute que ses talents et ses travaux en seraient plus admirés, si son génie ne paraissait emprunter l’appui d’aucune science étrangère. Lorsque nous entrâmes dans l’appartement de Maternus, nous le trouvâmes assis, et tenant à la main l’ouvrage qu’il avait lu la veille.

III. « Eh quoi ! lui dit Sécundus, les propos des méchants vous effrayent-ils si peu que vous aimiez les hardiesses dangereuses de votre Caton ? ou bien avez-vous repris ce livre pour le retoucher soigneusement, et, après avoir ôté ce qui a pu donner lieu à des interprétations fâcheuses, publier un Caton, non pas meilleur sans doute, mais moins aventureux ? — Vous pouvez lire, répondit Maternus, et vous reconnaîtrez ce que vous avez entendu. Si Caton a omis quelque chose, à la prochaine lecture Thyeste le dira ; car j’ai déjà fait le plan de cette tragédie, et les principaux traits en sont dessinés dans ma tête. Aussi je me hâte de préparer la publication de l’ouvrage que vous voyez, afin que mon esprit, dégagé de ce premier soin, se livre sans partage à sa nouvelle conception. — Vous ne vous lassez donc jamais, reprit Aper, de toutes ces