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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/712

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pour soutenir ses amis, porter secours aux étrangers, préserver un malheureux de sa perte, enfin jeter dans l’âme d’un envieux ou d’un ennemi la terreur et l’effroi, tranquille soi-même et comme revêtu d’une puissance et d’une magistrature perpétuelles ? Le pouvoir et les bienfaits de cet art se révèlent, dans la bonne fortune, par l’appui et la protection que vous donnez à d’autres. L’orage vient-il à gronder sur vous-mêmes ? non, l’épée et la cuirasse ne sont pas pour le guerrier une puissance plus sûre, que n’est pour l’accusé en péril cette éloquence qui, servant de glaive comme de bouclier, peut devant les juges, le sénat ou le prince, porter également et repousser les coups ! Quelle autre puissance que celle de la parole opposa naguère Éprius Marcellus au déchaînement des sénateurs ? Couvert de cette armure menaçante, il mit en défaut la sagesse d’Helvidius, éloquente aussi, mais mal exercée et peu faite aux combats de ce genre. Je n’en dirai pas davantage sur l’utilité, qui sans doute ne sera pas contestée par notre ami Maternus.

VI. « Je passe au plaisir que procure l’éloquence oratoire, plaisir dont la douceur n’est pas celle d’un instant fugitif, mais se renouvelle tous les jours et presque à toutes les heures. Quoi de plus doux en effet pour une âme libre, généreuse et née pour les nobles jouissances, que de voir sa demeure incessamment remplie par le concours nombreux des hommes du plus haut rang, et de savoir que ce n’est point à l’opulence, à l’espoir d’un héritage vacant, à quelque place importante, mais à la personne même que s’adresse cet honneur ? Je dis plus : les vieillards sans héritiers, les riches, les puissants, sont les premiers à venir chez un orateur jeune et pauvre, pour remettre en ses mains leur destinée et celle de leurs amis. Le plaisir de posséder une fortune immense ou un grand pouvoir égalera-t-il celui de voir des hommes vieux et pleins de jours, environnés de la considération générale, nageant au sein de l’abondance, confesser qu’ils manquent du premier de tous les biens ? Quand l’orateur sort en public, que de clients l’accompagnent ! quelle imposante représentation ! que de respects dans le lieu où se rend la justice ! quel triomphe quand il se lève, et, debout au milieu du silence universel, attire sur lui tous les regards ! quand il voit le peuple accourir, l’entourer d’un cercle immense, recevoir de sa parole mille impressions diverses ! Et je raconte ici les joies vulgaires de l’orateur, celles qui frappent