Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/713

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les yeux les moins clairvoyants : il en est de plus secrètes que lui seul peut connaître, et ce sont les plus grandes. Apporte-t-il un discours soigneusement travaillé ? sa joie, comme sa diction, a quelque chose de grave et d’imperturbable. Se présente-t-il, non sans quelque trouble intérieur, avec une composition nouvelle et à peine achevée ? l’inquiétude même rend le succès plus flatteur et le plaisir plus vif. Mais ce sont les hardiesses et jusqu’aux témérités de l’improvisation qui procurent les plus douces jouissances. Car il en est du génie comme de la terre : si l’on estime les fruits d’une longue culture et d’un pénible travail, les productions qui naissent d’elles-mêmes sont les glus agréables.

VII. « Pour moi, je l’avouerai franchement, ni le jour où je fus décoré du laticlave, ni ceux où, malgré la, défaveur attachée à ma naissance et à mon pays, je fus nommé questeur, ou tribun, ou préteur, ne furent à tes yeux de plus beaux jours que ceux où, grâce à un talent oratoire sans doute beaucoup trop faible, il m’est donné de sauver un accusé, de plaider une cause avec succès devant les centumvirs, ou d’être, auprès du prince, le défenseur et le patron de ces affranchis et de ces procurateurs si puissants à la cour des princes. Alors je crois m’élever au-dessus des tribunats, des prétures et des consulats ; je crois posséder ce qu’on tient de soi-même et non d’un autre, ce que ne confère point une lettre impériale, ce qui ne vient pas avec la faveur. Eh ! quel est celui des arts dont l’éclat et la renommée ne le cèdent à la gloire dont les orateurs jouissent dans Rome, non seulement parmi les hommes agissants et occupés des affaires, mais encore parmi les jeunes gens de l’âge le moins sérieux, pour peu qu’ils aient un esprit bien fait et la conscience de quelque talent ? Quels noms les pères font-ils entrer plus tôt dans la mémoire de leurs fils ? Quels citoyens sont plus souvent, sur leur passage, nommés, désignés du doigt par la multitude sans lettres et le peuple en tunique ? Les étrangers même et les voyageurs, frappés déjà au fond des provinces du bruit de leur réputation, sont à peine arrivés dans Rome, qu’ils les recherchent et veulent connaître les traits de leur visage.

VIII. « Je citerai des exemples modernes et récents, plutôt que des faits éloignés et vieillis : j’oserai prétendre que Marcellus Éprius, dont je parlais tout à l’heure, et Vibius Crispus, ne sont pas moins connus aux extrémités du monde que dans les villes de Capoue et de Verceil, où l’on dit qu’ils sont nés. Et ils