Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/727

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voir désigné cette classe d’hommes en général. Du reste, vous avez tous les jours devant les yeux des gens qui lisent Lucite au lieu d’Horace, Lucrèce au lieu de Virgile, pour qui l’éloquence de votre ami Aufidius Bassus ou de Servilius Nonianus[1] languit auprès des œuvres de Sisenna et de Varron[2] ; qui dédaignent et proscrivent les cahiers de nos rhéteurs et admirent ceux de Calvus ; qui, avec leur vieille manière de plaider ou plutôt de causer devant le juge, n’ont ni auditeurs qui les suivent, ni public qui les écoute, trop heureux si leur client même les supporte, tant leur diction est triste et inculte ! et si elle est saine, comme ils s’en glorifient, ce n’est pas vigueur de tempérament, mais abstinence de nourriture. Or les médecins qui prennent soin de nos corps n’estiment pas une santé obtenue par le tourment de l’âme : c’est peu de n’être pas malade ; je veux qu’on soit robuste, gai, alerte : celui-là n’est pas éloigné de la maladie, dont on dit, pour tout éloge, qu’il se porte bien. Mais vous, qui possédez à un si haut degré le talent de la parole, illustrez notre siècle (vous le pouvez et déjà vous le faites) par le genre d’éloquence qui est vraiment le plus beau. Pour votre part, Messala, je ne vous vois imiter des anciens que leurs traits les plus brillants. Et vous, Maternus et Sécundus, vous savez si bien allier à la force des idées l’élégance et l’éclat des expressions ; vous mettez dans l’invention tant de choix, tant d’ordre dans la disposition ; vous avez, quand la cause le demande, une telle abondance, quand elle le permet, une telle brièveté ; les mots chez vous se lient et s’arrangent avec tant de grâce ; les pensées sont si naturelles, les passions si finement maniées, la liberté si pleine de mesure, qui, si la malignité et l’envie ont retardé pour vous la justice contemporaine, la vérité sera proclamée par nos descendants. »

XXIV. Lorsque Aper eut fini : « Reconnaissez-vous, dit Maternus, la véhémence et la chaleur de notre Aper ? Quel torrent impétueux, quand il défendait notre siècle ! quelle abondance et quelle variété dans ses attaques contre les anciens ! avec quel génie, quelle verve, ajoutons même avec quelle érudi-

  1. Voy. Quintilien, liv. V, ch. i, n° 102 et suivants.
  2. L. Cornélius Sisenna, orateur médiocre et historien estimable, mais bien éloigné de la perfection (Cic., Brutus, ch. lxiv). — M. Térentius Varro, le plus savant des Romains, mais plus fait pour enrichir l’érudition que l’éloquence (Quintil., X, i, n° 95).