Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/728

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tion et quelle adresse, il a emprunté d’eux des armes pour les combattre ! Cependant, Messala, vous ne devez pas rétracter votre promesse. Nous ne demandons pas une apologie des anciens ; et, malgré les éloges qu’on vient de nous prodiguer, nous ne comparons aucun de nous à ceux auxquels Aper vient de livrer la guerre. Lui-même ne pense pas ce qu’il dit ; mais, selon une méthode ancienne et souvent employée parmi vos philosophes, il a pris pour lui le rôle de contradicteur. Faites-nous donc, non le panégyrique des anciens (leur renommée suffit à leur éloge), mais l’exposé des causes qui nous ont jetés si loin de leur éloquence, surtout lorsque le calcul des temps ne donne, depuis la mort de Cicéron jusqu’à nos jours, que cent vingt années.

XXV. — Je suivrai, Maternus, le plan que vous me tracez, dit alors Messala. Il n’est pas besoin d’ailleurs de plaider longtemps contre Aper : il n’a jamais fait, je pense, qu’élever une controverse de nom, en ne voulant point qu’on appelât anciens des hommes qui, de l’aveu commun, vécurent plus de cent ans avant nous. Pour moi, je ne disputerai pas sur le mot : qu’ils soient des anciens, ou nos ancêtres, ou ce qu’Aper voudra, pourvu qu’il demeure établi que l’éloquence de ce temps-là valait mieux que la nôtre. Je ne combattrai pas davantage la partie de son discours où il déclare qu’un même siècle, et à plus forte raison des siècles différents, ont vu changer les formes oratoires. Mais, si parmi les attiques on donne le premier rang à Démosthène, si Eschine, Hypéride, Lysias et Lycurgue occupent le second, et que, cet ordre une fois reconnu, l’estime universelle place cette génération d’orateurs au-dessus de toutes les autres, on peut dire aussi que chez nous Cicéron laissa derrière lui les plus habiles de ses contemporains, et que néanmoins les Calvus, les Asinius, les César, les Célius, les Brutus, ont sur leurs devanciers et leurs successeurs une prééminence avouée. Et peu importe qu’ils diffèrent entre eux par l’espèce, quand le genre est semblable. Calvus est plus serré, Asinius plus nombreux, César plus magnifique, Célius plus mordant, Brutus plus grave, Cicéron plus véhément, plus nourri, plus vigoureux. Tous ont cependant une éloquence également saine ; et, si vous prenez à la fois leurs discours, vous reconnaîtrez, en des talents divers, un goût et des principes semblables, et comme un air de famille. S’ils ont médit l’un de l’autre, et si leurs lettres contiennent des traits qui décèlent une malignité réciproque, en cela ils n’étaient pas