Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/98

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ont permis qu’un sénateur s’écartât quelquefois de l’objet sur lequel il vote, pour faire des propositions d’intérêt général, certes ils n’ont pas voulu que ce droit s’étendît aux affaires domestiques, et que nous vinssions, au profit de notre fortune, exposer le sénat et le prince à des censures inévitables, soit qu’ils accordent, soit qu’ils refusent. Non, ce n’est pas une prière, c’est une importunité, une surprise, que de se lever au milieu d’hommes réunis à tout autre fin, de violenter, avec le nombre et l’âge de ses enfants, la religion du sénat, d’exercer sur moi la même contrainte, et de forcer en quelque façon les portes du trésor, sans songer qu’il faudra le remplir par des crimes, si nous le vidons par complaisance. Auguste fut généreux envers toi, Hortalus, mais sans en être requis, mais sans faire une loi de te donner toujours. Ce serait ôter aux âmes leur ressort et mettre la paresse en honneur, que de souffrir que chacun plaçât hors de soi ses craintes et ses espérances, et, attendant avec sécurité des secours étrangers, vécût inutile à lui-même, onéreux à l’État. « Ce discours, applaudi par ces hommes que les princes trouvent toujours prêts à louer, également le bien et le mal, fut accueilli du plus grand nombre par un profond silence ou des murmures étouffés. Tibère s’en aperçut, et, reprenant la parole après quelques instants, il dit « qu’il avait répondu à Hortalus ; qu’au reste, si le sénat le jugeait à propos, il donnerait deux cent mille sesterces à chacun de ses enfants mâles. » Le sénat rendit grâces. Hortalus resta muet, soit qu’il fût retenu par la peur, soit qu’au sein de l’infortune il se ressouvint de la dignité de ses aïeux. Depuis ce temps, le cœur de Tibère, fermé à la pitié, laissa tomber la maison d’Hortensius dans une détresse humiliante.

XXXIX. Cette même année l’audace d’un seul homme, si on ne l’eût promptement réprimée, allait plonger l’État dans les discordes et la guerre civile. Un esclave de Postumus Agrippa, nommé Clemens, en apprenant la mort d’Auguste, conçut un projet au-dessus de sa condition, celui de passer à l’île de Planasie, d’enlever son maître par force ou par ruse, et de le conduire aux armées de Germanie. Ce coup hardi manqua par la lenteur du vaisseau qui portait Clemens : on avait, dans l’intervalle, égorgé Postumus. L’esclave forme alors un dessein plus grand et plus périlleux : il dérobe les cendres du mort, se rend à Cosa[1], promontoire d’Etrurie et se tient caché dans

  1. Aujourd’hui Monte-Argentaro, près d’Orbitello. Dans le