Page:Tailhade - Discours pour la paix.djvu/22

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La Fontaine, seul, parmi tant d’hyperboles et d’encens, ne manifeste pas un enthousiasme outré pour la chose guerrière :

Fureur d’accumuler, monstre de qui les yeux
Regardent comme un point tous les bienfaits des dieux.

Il trouve, pour stigmatiser l’avarice et partant l’esprit de conquête, forme héroïque et suprême de l’avarice, des traits que ne désavoueraient pas nos antimilitaristes les plus outrecuidés.

La Bruyère note avec âpreté la démence qui met aux prises les peuples et les rois :

La guerre, dit-il, a pour elle l’antiquité ; elle a été dans tous les siècles ; on l’a toujours vue remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers et faire périr les frères à une même bataille. De tout temps les hommes, pour quelques morceaux de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres, et, pour le faire plus ingénieusement, avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles, qu’on appelle art militaire : ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation et ils ont, depuis, enchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement.

Voilà bien le constat du moraliste. La Bruyère prend son parti de l’iniquité humaine. Ce n’est pas un réformateur, un tribun encore moins. Le spectacle du cannibalisme l’intéresse ou l’amuse ; il en étudie avec curiosité les aspects et les résultats, sans prendre parti ni s’attendrir le moins du monde sur les pauvres fous que leur manie entraîne vers une mort atroce et prématurée.

À chaque instant, Virgile revient sur la tristesse que les armes traînent à leur suite. Il déplore les ruines et le travail perdu, et la faux incurvée qui se transforme en glaive rigide. Il déplore les combats détestés par les mères. Ici, rien de pareil. La Bruyère s’intéresse à l’évolution de la vésanie guerrière ; il en fait la clinique avec l’impassibilité du chirurgien que Rembrandt a peint dans la Leçon d’anatomie.

Swift n’a pas tant de calme. Sous la glaciale ironie, on devine chez l’auteur de Gulliver, une âme compatissante, un cœur généreux que révoltent la sottise, l’hypocrisie et la méchanceté. C’est un esprit biblique, une sorte de puritain mal affranchi qui stigmatise et flagelle avec un zèle de prophète les crimes, les erreurs, les fautes de l’Adam déchu. Orgueil effréné, noir égoïsme, haine acharnée, ironie mé-