Page:Tailhade - Discours pour la paix.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

LETTRE AUX CONSCRITS


S’il existait encore un sauvage, comme le Huron de Voltaire, indemne de nos erreurs et de nos préjugés, un homme simplement homme devant la Nature, homme ne connaissant du vieux monde ni les alcools frelatés, ni le général Marchand, ni la contagion syphilitique, ni les missionnaires, ni les gazettes, un homme enfin que n’aveugle aucune des tares léguées par deux mille ans de christianisme, il serait à peu près impossible de représenter à cet ingénu en quoi consiste la mécanique et le recrutement des armées permanentes.

À mesure que s’efface l’idée ancestrale de patrie, et les dogmes qui séparaient les nations, et les frontières naturelles qui circonscrivaient l’héritage des peuples, il semble que la tyrannie absurde et malfaisante de la chose militaire devienne plus oppressive et plus cruelle. Au temps où nous vivons, la force du militarisme résulte de l’organisation débilitante qui métamorphose le soldat et l’officier en ronds-de-cuir sustentés par le contribuable au même titre que les rats-de-cave ou les gabelous, organisation dont l’importance grandit à mesure que décroissent les instincts belliqueux. Le monde moderne harnache d’autant plus de militaires qu’il enfante moins de guerriers. Jadis, quand le courage personnel faisait partie des vertus requises pour tuer les hommes en bataille rangée ; quand il fallait apporter dans le carnage cette