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SAINT-SIMON.
III
L’homme.

Il y a deux parts en nous : l’une que nous recevons du monde, l’autre que nous apportons au monde ; l’une qui est acquise, l’autre qui est innée ; l’une qui nous vient des circonstances, l’autre qui nous vient de la nature. Toutes deux vont dans Saint-Simon au même effet, qui est de le rendre historien.

Il fut homme de cour et n’était point fait pour l’être ; son éducation y répugnait ; pour être bon valet, il était trop grand seigneur ; dès l’enfance, il avait pris chez son père les idées féodales. Ce père, homme hautain, vivait, depuis l’avénement de Louis XIV, retiré dans son gouvernement de Blaye, à la façon des anciens barons, si absolu dans son petit État que le roi lui envoyait la liste des demandeurs de places avec liberté entière d’y choisir ou de prendre en dehors, et de renvoyer ou d’avancer qui bon lui semblait. Il était roi de sa famille comme de son gouvernement, et de sa femme comme de ses domestiques. Un jour Mme de Montespan envoie à Mme de Saint-Simon un brevet de dame d’honneur ; il ouvre la lettre, écrit « qu’à son âge il n’a pas pris une femme pour la cour, mais pour lui. Ma mère y eut grand regret, mais il n’y parut jamais. » Je le crois ; on se taisait sous un pareil maître. — Il se faisait justice, impétueusement, impérieusement, lui-