Page:Taine - Histoire de la littérature anglaise, t. 2, 1905.djvu/17

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tout d’un coup et pendant soixante ans le drame pousse ici avec une merveilleuse abondance, et qu’au bout de ce temps il s’arrête, sans que jamais aucun effort puisse le ranimer. Il faut bien que cette structure soit particulière, puisque, entre tous les théâtres de l’antiquité et des temps modernes, celui-ci se détache avec une forme distincte, et présente un style, une action, des personnages, une idée de la vie qu’on ne rencontre en aucun siècle et en aucun pays. Ce trait particulier est la libre et complète expansion de la nature.

Ce qu’on appelle nature dans l’homme, c’est l’homme tel qu’il est avant que la culture et la civilisation l’aient déformé et réformé. Presque toujours, lorsqu’une génération nouvelle arrive à la virilité et à la conscience, elle rencontre un code de préceptes qui s’impose à elle de tout le poids et de toute l’autorité du passé. Cent sortes de chaînes, cent mille sortes de liens, la religion, la morale et le savoir-vivre, toutes les législations qui règlent les sentiments, les mœurs et les manières, viennent entraver et dompter l’animal instinctif et passionné qui palpite et se cabre en chacun de nous. Rien de semblable ici ; c’est une renaissance, et le frein du passé manque au présent. Le catholicisme, réduit aux pratiques extérieures et aux tracasseries cléricales, vient de finir ; le protestantisme, arrêté dans les tâtonnements ou égaré dans les sectes, n’a pas encore pris l’empire ; la religion disciplinaire est défaite, et la religion morale n’est pas encore faite ; l’homme a cessé d’écouter les prescriptions du clergé, et n’a pas encore épelé la loi de la conscience. L’église est un rendez-vous, comme en Italie ; les jeunes gentilshommes vont à Saint-Paul se promener, rire, causer, étaler leurs manteaux neufs ; même la chose est passée en usage ; ils