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LIVRE II. LA RENAISSANCE.

payent pour le bruit qu’ils font avec leurs éperons, et cette taxe est un profit des chanoines[1] ; les filous, les filles sont là, en troupes ; elles concluent leurs marchés pendant le service. Songez enfin que les scrupules de conscience et la sévérité des puritains sont alors choses odieuses, qu’on les tourne en ridicule sur le théâtre, et mesurez la différence qui sépare cette Angleterre sensuelle, débridée, et l’Angleterre correcte, disciplinée et roidie, telle que nous la voyons aujourd’hui. Ecclésiastique ou séculière, nulle part on ne découvre de règle. Dans la défaillance de la foi, la raison n’a pas pris l’empire, et l’opinion est aussi dépourvue d’autorité que la tradition. L’âge imbécile qui vient de finir demeure enfoui sous le dédain avec ses radotages de versificateurs et ses manuels de cuistres, et, parmi les libres opinions qui arrivent de l’antiquité, de l’Italie, de la France et de l’Espagne, chacun peut choisir à sa guise, sans subir une contrainte ou reconnaître un ascendant. Point de modèle imposé comme aujourd’hui : au lieu d’affecter l’imitation, ils affectent l’originalité[2]. Chacun veut être soi-même, avoir ses jurons, ses façons,

  1. « Parmi les laïques, il y avait peu de dévotion ; le jour du Seigneur était grandement profané et peu observé ; les prières communes n’étaient pas fréquentées ; plusieurs vivaient sans rendre aucun culte à Dieu. Beaucoup étaient purement païens et athées ; la cour de la reine elle-même était un asile d’épicuriens et d’athées et de gens sans loi. » (Strype, année 4572.) « Dans ma jeunesse… le dimanche… le peuple ne voulait pas interrompre ses jeux et ses danses, et bien des fois celui qui lisait la Bible était forcé de s’arrêter jusqu’à ce que le joueur de flageolet et les acteurs eussent fini. Parfois les danseurs entraient dans l’église avec tous leurs accoutrements, leurs écharpes, leurs déguisements, et des clochettes qui sonnaient à leurs jambes, et, aussitôt que la prière commune était dite, retournaient ensuite à leur divertissement. » (Baxter’s Narrative.)
  2. Ben Jonson, Every man in his humour.