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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


tiques dont ils font parade ne sont pour eux qu’un prétexte ; s’ils poussent à la guerre, c’est pour renverser l’ordre légal qui les gêne ; leur véritable but est la conquête du pouvoir, une seconde révolution intérieure, l’application de leur système, un nivellement définitif. — Derrière eux se cache le plus politique et le plus absolu des théoriciens, un homme « dont le grand art est d’aller à son but sans paraître, de préparer les autres à des vues éloignées dont ils ne se doutent pas, de parler peu en public et d’agir en secret[1]. » C’est lui, Siéyès, « qui conduit tout en ayant l’air de ne rien conduire ». Aussi infatué que Rousseau de ses conceptions spéculatives, mais aussi exempt de scrupules et aussi perspicace que Machiavel dans le choix des moyens pratiques, il a été, il est et il sera dans les moments décisifs l’avocat consultant de la démocratie radicale. « Son orgueil ne souffre rien au-dessus de lui ; il a fait abolir la noblesse parce qu’il n’était pas noble ; parce qu’il ne possède pas tout, il détruira tout. Sa doctrine fondamentale est que, pour affermir la révolution, il est indispensable de changer la religion et de changer la dynastie. » — Or, si la paix eût duré, rien de tout cela n’était possible, et, de plus ; l’ascendant du parti était compromis. Des classes entières, qui l’avaient suivi lorsqu’il lançait l’émeute

    qu’une crainte ; c’est que nous ne soyons point trahis. Nous avons besoin de trahisons ; car il existe encore de fortes doses de poison dans le sein de la France, et il faut de fortes explosions pour l’expulser. »

  1. Mallet du Pan, Mémoires, I, 260 (avril 1792), et I, 439 (juillet 1792).