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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


donnerait pas un sou dans le moment actuel, et le Courrier militaire, vieux de quinze jours ; des gens bien mis parlent des choses qui sont arrivées il y a deux ou trois semaines, et leurs discours démontrent qu’ils ne savent rien de ce qui se passe aujourd’hui ». À Clermont, « je dînai ou soupai cinq fois à table d’hôte avec vingt ou trente négociants, marchands, officiers, etc. ; à peine un mot de politique dans un moment où tous les cœurs devraient battre de sensations politiques ; l’ignorance ou la stupidité de ces gens-là est incroyable. Il ne se passe pas de semaine où leur pays ne produise une multitude d’événements[1] qui sont analysés et discutés même par les charpentiers et les serruriers de l’Angleterre ». La cause de cette inertie est manifeste ; interrogés sur leur opinion, tous répondent : « Nous sommes de la province, il nous faut attendre pour savoir ce que l’on fait à Paris ». N’ayant jamais agi, ils ne savent pas agir ; mais, grâce à leur inertie, ils se laisseront pousser. La province est une mare immense, stagnante, qui, par une inondation terrible, peut se déverser toute d’un côté et tout d’un coup ; c’est la faute de ses ingénieurs qui n’y ont fait ni digues ni conduites.

Telle est la langueur ou plutôt l’anéantissement où tombe la vie locale lorsque les chefs locaux lui dérobent leur présence, leur action ou leur sympathie. Je ne vois pour y prendre part que trois ou quatre grands sei-

  1. L’abolition des dîmes, des droits féodaux, la permission de tuer le gibier, etc.