Aller au contenu

Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
L’ANCIEN RÉGIME


l’autorité pour les profits, ils ont aliéné le dernier lambeau de gouvernement qui leur restait. Ainsi partout ils ont dépouillé le caractère vénéré de chef pour revêtir le caractère odieux de trafiquant. « Non seulement, dit un contemporain[1], ils ne donnent pas de gages à leurs officiers de justice, ou les prennent au rabais ; mais ce qu’il y a de pis, c’est que la plupart aujourd’hui vendent leurs offices. » Malgré l’édit de 1693, les juges ainsi nommés ne se font point recevoir aux justices royales et ne prêtent pas serment. « Qu’arrive-t-il alors ? La justice, trop souvent exercée par des fripons, dégénère en brigandage, ou en une impunité affreuse. » — Ordinairement le seigneur qui a vendu la charge moyennant finance perçoit en outre le centième, le cinquantième, le dixième du prix lorsqu’elle passe en d’autres mains ; d’autres fois il en vend la survivance. Charges et survivances, il en crée pour en vendre. « Toutes les justices seigneuriales, disent les cahiers, sont infestées d’une foule d’huissiers de toute espèce, sergents seigneuriaux, huissiers à cheval, huissiers à verge, gardes de la prévôté des monnaies, gardes de la connétablie. Il n’est pas rare d’en trouver jusqu’à dix dans un arrondissement qui pourrait à peine en faire vivre deux, s’ils se renfermaient dans les limites de leurs charges. » Aussi « sont-ils en même temps juges, procureurs, procureurs fiscaux, greffiers, no-

  1. Renauldon, ib., 45, 52, 628. — Duvergier, Collection des lois, t. II, 391. Loi du 31 août-18 octobre 1792. — Cahier d’un magistrat du Châtelet sur les justices seigneuriales (1789), 29. — Legrand, l’Intendance du Hainaut. 110.