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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


devenir inutile et malfaisant. — Insensiblement, en accaparant tous les pouvoirs, le roi s’est chargé de toutes les fonctions ; tâche immense et qui surpasse les forces humaines. Car ce n’est point la Révolution, c’est la monarchie qui a implanté en France la centralisation administrative[1]. Sous la direction du Conseil du roi, trois fonctionnaires superposés, au centre le contrôleur général, dans chaque généralité l’intendant, dans chaque élection le subdélégué, mènent toutes les affaires, fixent, répartissent et lèvent l’impôt et la milice, tracent et font exécuter les routes, emploient la maréchaussée, distribuent les secours, réglementent la culture, imposent aux paroisses leur tutelle, et traitent comme des valets les magistrats municipaux. « Un village, dit Turgot[2] n’est qu’un assemblage de maisons, de cabanes et d’habitants aussi passifs qu’elles… Votre Majesté est obligée de décider tout par elle-même ou par ses mandataires… Chacun attend vos ordres spéciaux, pour contribuer au bien public, pour respecter les droits d’autrui, quelquefois même pour user des siens propres. » Par suite, ajoute Necker, « c’est du fond des bureaux que la France est gouvernée… Les commis, ravis de leur influence, ne manquent jamais de persuader au ministre qu’il ne peut se détacher de commander un seul détail ». — Bureaucratie au

  1. Tocqueville, liv. II. Cette vérité capitale a été établie par M. de Tocqueville avec une perspicacité supérieure.
  2. Remontrances de Malesherbes, Mémoire de Turgot, Mémoire de Necker au roi. (Laboulaye, De l’administration française sous Louis XVI. Revue des cours littéraires, IV, 423, 759, 814.)