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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/152

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L’ANCIEN RÉGIME


cienne ornière, d’où elle ne sortira qu’en se disloquant.

Sans doute le mal qu’ils font ou qu’on fait en leur nom leur déplaît et les chagrine ; mais au fond leur conscience n’est pas inquiète. Ils peuvent avoir compassion du peuple, mais ils ne se sentent pas coupables envers lui ; car ils sont ses souverains et non ses mandataires. La France est à eux comme tel domaine est à son seigneur, et un seigneur ne manque pas à l’honneur parce qu’il est prodigue et négligent. C’est son bien qu’il dissipe, et personne n’a le droit de lui demander des comptes. Fondée sur la seigneurie féodale, la royauté est comme elle une propriété, un héritage, et ce serait infidélité, presque trahison chez un prince, en tout cas faiblesse et bassesse, que de laisser passer entre des mains de sujets quelque portion du dépôt qu’il a reçu intact de ses pères pour le transmettre intact à ses enfants. Non seulement, par la tradition du moyen âge, il est commandant-propriétaire des Français et de la France, mais encore, par la théorie des légistes, il est, comme César, l’unique et perpétuel représentant de la nation, et, par la doctrine des théologiens, il est, comme David, le délégué sacré et spécial de Dieu lui-même. À tous ces titres, ce serait merveille s’il ne considérait pas le revenu public comme son revenu privé, et si, maintes fois, il n’agissait pas en conséquence. En ceci notre point de vue est si opposé, que nous avons de la peine à nous mettre au sien ; mais le sien était alors celui de tout le monde. En ce temps-là il semblait aussi étrange de s’ingérer dans les affaires du roi que dans celles d’un