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L’ANCIEN RÉGIME


pour une pension à son frère[1]. Mais c’est sous Calonne que la prodigalité devient folle. On a fait honte au roi de sa parcimonie ; pourquoi serait-il ménager de sa bourse ? Lancé hors de sa voie, il donne, il achète, il bâtit, il échange, il vient en aide aux gens de son monde, le tout en grand seigneur, c’est-à-dire en jetant l’argent à pleines mains. Qu’on en juge par un seul exemple : pour secourir les Guéméné faillis, il leur achète moyennant 12 500 000 livres trois terres qu’ils viennent d’acheter 4 millions ; de plus, en échange de deux domaines en Bretagne qui rapportent 33 758 livres, il leur cède la principauté de Dombes rapportant près de 70 000 livres de rente[2]. — Lorsqu’on lira plus tard le Livre Rouge, on y trouvera 700 000 livres de pensions pour la maison de Polignac, la plupart réversibles d’un membre à l’autre, et près de deux millions de bienfaits annuels à la maison de Noailles. — Le roi a oublié que toutes ses grâces sont meurtrières ; car « le courtisan qui obtient 6 000 livres de pension reçoit la taille de six villages[3] ». En l’état où est l’impôt, chaque largesse du monarque est fondée sur le jeûne des paysans, et le souverain, par ses commis, prend aux pauvres leur pain pour donner des carrosses aux riches. — Bref le centre du gouvernement est le centre du mal ; toutes les injustices et toutes les misères en partent comme d’un foyer

  1. Marte-Antoinette, ib., II, 377 ; III, 391.
  2. Archives nationales. II, 1456. Mémoire pour M. Bouret de Vézelay, syndic des créanciers.
  3. Marquis de Mirabeau, Traité de la population, 81.