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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


que les serviteurs y sont des hôtes, et que l’antichambre y peuple le salon.

Non que le salon ait besoin de cela pour se remplir. Étant la source de tout avancement et de toute grâce, il est naturel qu’il regorge ; dans notre société égalitaire, celui d’un mince député, d’un médiocre journaliste, d’une femme à la mode, est plein de courtisans sous le nom de visiteurs et d’amis. — D’ailleurs ici la présence est d’obligation ; on pourrait dire qu’elle est une continuation de l’ancien hommage féodal ; l’état-major des nobles est tenu de faire cortège à son général-né. Dans le langage du temps, cela s’appelle « rendre ses devoirs au roi ». Aux yeux du prince, l’absence serait une marque d’indépendance autant que d’indifférence, et la soumission, aussi bien que l’empressement, lui est due. — À cet égard, il faut voir l’institution dès son origine. Du regard, à chaque instant Louis XIV faisait sa ronde, « à son lever, à son coucher, à ses repas, en passant dans ses appartements, dans ses jardins… : aucun ne lui échappait, jusqu’à ceux qui n’espéraient pas même être vus ; c’était un démérite aux uns et à tout ce qu’il y avait de plus distingué de ne pas faire de la cour son séjour ordinaire, aux autres d’y venir rarement, et une disgrâce sûre pour qui n’y venait jamais ou comme jamais[1] ». Dorénavant pour les premiers personnages du royaume, hommes et femmes, ecclé-

  1. Saint-Simon, Mémoires, XVI, 456. — Ce besoin d’être entouré dure jusqu’à la fin ; en 1791, la reine disait amèrement en parlant de la noblesse : « Quand on obtient de nous une démarche qui la blesse, je suis boudée ; personne ne vient à mon