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L’ANCIEN RÉGIME


siastiques et laïques, la grande affaire, le principal emploi de la vie, le vrai travail, sera d’être à toute heure, en tout lieu, sous les yeux du roi, à portée de sa parole ou de son regard. « Qui considérera, dit La Bruyère, que le visage du prince fait toute la félicité du courtisan, qu’il s’occupe et se remplit toute sa vie de le voir et d’en être vu, comprendra un peu comment voir Dieu fait toute la gloire et toute la félicité des saints. » Il y eut alors des prodiges d’assiduité et d’assujettissement volontaire. Tous les matins à sept heures, en hiver comme en été, le duc de Fronsac, par ordre de son père, se trouvait au bas du petit escalier qui conduit à la chapelle, uniquement pour donner la main à Mme de Maintenon qui partait pour Saint-Cyr[1]. « Pardonnez-moi, Madame, lui écrivait le duc de Richelieu, l’extrême liberté que je prends d’oser vous envoyer la lettre que j’écris au roi, par où je le prie à genoux qu’il me permette de lui aller faire de Ruel quelquefois ma cour ; car j’aime autant mourir que d’être deux mois sans le voir. » Le vrai courtisan suivait le prince comme l’ombre suit le corps ; tel fut sous Louis XIV le duc de La Rochefoucauld, grand veneur. « Le lever, le coucher, les deux autres changements d’habit tous les jours, les chasses et les promenades du roi tous les jours aussi, il n’en manquait jamais, quelquefois dix ans de suite sans découcher

    jeu ; le coucher du roi est solitaire, on nous punit de nos malheurs ». (Mme Campan, II, 177.)

  1. Duc de Lévis, Souvenirs et portraits, 29. — Mme de Maintenon, Correspondance.