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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


pendant la cour de M. d’Épinay ressemble en petit à celle du roi.

À plus forte raison faut-il que les ministres, ambassadeurs, officiers généraux, qui tiennent la place du roi, représentent d’une façon grandiose. Aucune circonstance n’a rendu l’ancien régime aussi éclatant et plus onéreux ; en ceci, comme dans tout le reste, Louis XIV est le principal auteur du mal comme du bien. La politique qui avait établi la cour prescrivait le faste. « C’était lui plaire, que de s’y jeter en habits, en tables, en équipages, en bâtiments, en jeu ; c’étaient là des occasions pour qu’il parlât aux gens[1]. De la cour, la contagion avait passé dans la province et aux armées, où les gens en quelque place n’étaient comptés qu’à proportion de leur table et de leur magnificence. » Pendant l’année que le maréchal de Belle-Isle passa à Francfort pour l’élection de Charles VI, il dépensa 750000 livres en voyages, transports, fêtes, dîners, construction d’une salle à manger et d’une cuisine, outre cela 150000 livres en boîtes, montres et autres présents ; par l’ordre du cardinal Fleury, si économe, il avait

  1. Saint-Simon, XII, 457, et Dangeau, VI, 408. Chez le maréchal de Boufflers, au camp de Compiègne (septembre 1698), il y avait tous les soirs et tous les matins deux tables de 20 à 25 couverts, outre les tables supplémentaires, 72 cuisiniers, 340 domestiques, 400 douzaines de serviettes, 80 douzaines d’assiettes d’argent, 6 douzaines d’assiettes de vermeil. 14 chevaux en relais apportaient tous les jours de Paris les liqueurs et les fruits ; chaque jour des exprès apportaient poisson, volaille et gibier de Gand, Bruxelles, Dunkerque, Dieppe et Calais. Dans les jours ordinaires on buvait 50 douzaines de bouteilles, et 80 douzaines pendant la visite du roi et des princes.