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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


ne lui arriva de dire rien de désobligeant à personne… Jamais devant le monde rien de déplacé ni de hasardé, mais jusqu’au moindre geste, son marcher, son port, toute sa contenance, tout mesuré, tout décent, noble, grand, majestueux et toutefois très naturel. » — Voilà le modèle, et, de près ou de loin, jusqu’à la fin de l’ancien régime, il est suivi. S’il change un peu, ce n’est que pour devenir plus sociable. Au dix-huitième siècle, sauf dans les jours de grand apparat, on le voit, degré à degré, descendre de son piédestal. Il ne se fait plus autour de lui de « ces silences à entendre marcher une fourmi ». — « Sire, disait à Louis XVI le maréchal de Richelieu, témoin des trois règnes, sous Louis XIV, on n’osait dire mot ; sous Louis XV, on parlait tout bas ; sous Votre Majesté, on parle tout haut. » — Si l’autorité y perd, la société y gagne ; l’étiquette, insensiblement relâchée, laisse entrer l’aisance et l’agrément. Désormais les grands, ayant moins souci d’imposer que de plaire, se dépouillent de la morgue comme d’un costume gênant et « ridicule, et recherchent moins les respects que les applaudissements. Il ne suffit même plus d’être affable, il faut à tout prix paraître aimable à ses inférieurs comme à ses égaux[1] ». — « Les princes français, dit encore une dame contemporaine, meurent de peur de manquer de grâces[2]. » Jusques autour du

  1. Duc de Lévis, 321.
  2. Mme de Genlis, Souvenirs de Félicie, 160. — Il faut noter pourtant, sous Louis XV et même sous Louis XVI, le maintien de l’ancienne attitude royale. « Quoique je fusse prévenu, dit Alfieri, que le roi ne parlait pas aux étrangers ordinaires, je ne pus