Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
L’ANCIEN RÉGIME


aisée et savante, si harmonieuse dans tous ses détails que la perfection y cache la difficulté.

Une grande dame « salue dix personnes en se ployant une seule fois, et en donnant, de la tête et du regard, à chacun ce qui lui revient[1] », c’est-à-dire la nuance d’égards appropriée à chaque variété d’état, de considération et de naissance. « C’est à des amours-propres faciles à s’irriter qu’elle a toujours affaire, en sorte que le plus léger défaut de mesure serait promptement saisi[2] » ; mais jamais elle ne se trompe, ni n’hésite dans ces distinctions subtiles ; avec un tact, une dextérité, une flexibilité de ton incomparables, elle met des degrés dans son accueil. Elle en a un « pour les femmes de condition, un pour les femmes de qualité, un pour les femmes de la cour, un pour les femmes titrées, un pour les femmes d’un nom historique, un autre pour les femmes d’une grande naissance personnelle, mais unies à un mari au-dessous d’elles, un autre pour les femmes qui ont changé par leur mariage leur nom commun en un nom distingué, un autre encore pour les femmes d’un bon nom dans la robe, un autre enfin pour celles dont le principal relief est une maison de dépense et de bons soupers ». Un étranger reste stupéfait en voyant de quelle démarche adroite et sûre elle circule parmi tant de vanités en éveil, sans jamais donner ni recevoir un choc. « Elle sait tout exprimer par le mode de ses révérences, mode varié qui s’étend par

  1. Comte de Tilly, I, 24.
  2. Necker, Œuvres complètes, XV, 259.