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L’ANCIEN RÉGIME


M. le duc de Bourbon de dire ce qu’il veut ; je suis ici pour recevoir ses ordres. » — « Monsieur », a répliqué M. le duc de Bourbon en adressant la parole à M. le comte d’Artois et en baissant la pointe de son épée, « je suis pénétré de reconnaissance de vos bontés, et je n’oublierai jamais l’honneur que vous m’avez fait. » — Se peut-il un plus juste et plus fin sentiment des rangs, des positions, des circonstances, et peut-on entourer un duel de plus de grâces ? — Il n’y a pas de situation épineuse qui ne soit sauvée par la politesse. Avec de l’usage et le tour convenable, même en face du roi, on concilie la résistance et le respect. Lorsque Louis XV, ayant exilé le Parlement, fit dire tout haut par Mme du Barry que son parti était pris et qu’il ne changerait jamais : « Ah ! madame, répondit le duc de Nivernais, quand le roi a dit cela, il vous regardait ». — « Mon cher Fontenelle », lui disait une de ses amies en lui mettant la main sur le cœur, « c’est aussi de la cervelle que vous avez là. » Fontenelle souriait et ne disait pas non : voilà comment, même à un académicien, on faisait avaler ses vérités, une goutte d’acide dans un bonbon, le tout si bien fondu que la saveur piquante ne faisait que relever la saveur sucrée. Tous les soirs, dans chaque salon, on servait des bonbons de cette espèce, deux ou trois avec la goutte d’acide, tous les autres non moins exquis, mais n’ayant que de la douceur et du parfum. — Tel est l’art du monde, art ingénieux et charmant qui pénètre dans tous les détails de la parole et de l’action pour les transformer en grâces, qui impose à l’homme, non la