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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


heures ; à midi, déjeuner suivi d’une conversation qui dure jusqu’à trois ou quatre heures ; le dîner à six, ensuite le jeu et la lecture des Mémoires de Mme de Maintenon. » Ordinairement « on reste en compagnie jusqu’à deux heures du matin ». La liberté d’esprit est parfaite ; nul tracas, nul souci ; le whist et le trictrac l’après-midi, le pharaon le soir. « On fait aujourd’hui ce qu’on a fait hier, et ce qu’on fera demain ; on s’occupe du dîner-souper comme de l’affaire la plus importante de la vie, et l’on ne se plaint de rien au monde que de son estomac. Le temps nous emporte si vite, que je crois toujours être arrivé depuis hier au soir. » Parfois on arrange une petite chasse et les dames veulent bien y assister ; « car elles sont toutes fort lestes et en état de faire tous les jours à pied cinq ou six fois le tour du salon ». Mais elles aiment mieux l’appartement que le grand air ; en ce temps-là le vrai soleil, c’est la clarté des bougies, et le plus beau ciel est un plafond peint ; y en a-t-il un moins sujet aux intempéries, plus commode pour causer, badiner ? — On cause donc et l’on badine, en paroles avec les amis présents, par lettres avec les amis absents. On sermonne la vieille Mme du Deffand, qui est trop vive et qu’on nomme « la petite fille » ; la jeune duchesse, tendre et sensée, est « sa grand’maman ». Quant au « grand-papa », M. de Choiseul, « comme un petit rhume le tient au lit, il se fait lire des contes de fées toute la journée : c’est une lecture à laquelle nous nous sommes tous mis ; nous la trouvons aussi vraisemblable que l’histoire